Il était une fois le Titanic
cloisons en tôle n’étaient pas isolées contre la chaleur venant de la chaufferie. Seule une ventilation plus ou moins défectueuse assurait, en partie, le renouvellement de l’air. Mais, la plupart du temps, les conduits d’aspiration des ventilateurs se trouvaient à proximité des cheminées. Aussi les gaz et les suies, résidus de la combustion, s’y engouffraient. Enfin, souvent, ces postes d’équipage faisaient usage de réfectoire 115 . »
Mais les chauffeurs avaient encore au-dessous d’eux les soutiers, qui charriaient le charbon par d’étroits boyaux surchauffés, de la cale des stocks aux chaudières. Intoxiqués par les vapeurs de coke, ils transportaient des tonnes de houille quatre heures durant sans récriminer ni faiblir, au risque de se faire ensevelir à tout instant sous les éboulis. Nombre d’entre eux étaient alcooliques, et c’est parmi les chauffeurs et les soutiers que se trouvaient la plupart des retardataires qui manquèrent le départ du Titanic . Réveillés par les sirènes, ils n’avaient pas eu le temps de quitter les pubs où ils avaient passé la nuit à boire avant l’appareillage. Ils s’étaient alors retrouvés sur le quai, sans embarquement, sans solde et sans travail, car leurs noms étaient aussitôt connus des recruteurs. Or, pour la première fois ce jour-là, l’Histoire leur donnait raison.
Dernières escales
C’était le 10 avril à midi. Le grand paquebot longeait les quais, en avant lente. Accoudés au bastingage, les passagers virent soudain les aussières d’un paquebot, à quai dans le
chenal de sortie, céder sous la violence du roulis provoqué par le remous des hélices. Les six câbles qui le retenaient claquèrent tout à coup les uns après les autres, provoquant une série de détonations qui semèrent la panique parmi les badauds. Il s’agissait du New York , amarré à couple de l’ Oceanic . Ce dernier, heureusement, résista à la formidable aspiration déclenchée par les hélices du géant transatlantique. Le même phénomène s’était produit avec l’ Olympic quelques mois plus tôt, dans le sillage duquel le croiseur Hawke avait été littéralement aspiré.
Sur la passerelle, le commandant Smith vivait pour la seconde fois cette malheureuse expérience. Il n’en croyait pas ses yeux : le New York , sur lequel avaient pris place de très nombreux visiteurs, s’était mis à pivoter sur lui-même, de telle sorte que sa poupe s’approcha dangereusement du flan du Titanic . À bord du liner de la White Star, les passagers eurent un mouvement de recul.
Le révérend père Frank Browne, passager de deuxième classe, témoigna de l’incident pour le Belvederian après avoir débarqué à l’escale de Queenstown : « Le remous l’entraînait dans le chenal. Des sonneries retentirent à la passerelle et, loin à l’arrière, le bouillonnement des hélices cessa. Mais le New York , désemparé, se mit à dériver. Les remorqueurs, en donnant des coups de sirène, s’élancèrent à son aide, mais il continuait d’approcher. À côté de moi, une voix dit : “Et maintenant, c’est la collision !”, tandis que je photographiais la scène 116 . Puis nous nous précipitâmes sur l’arrière pour voir ce qui allait arriver. […] La coque noire du New York ne fit que glisser lentement le long du bord, vers l’espace libre où s’était trouvée quelques secondes auparavant l’arrière du Titanic 117 ! »
À bord du transatlantique en partance, on se félicita de cette heureuse conclusion. Enfin, le départ pouvait avoir
lieu. C’était compter sans quelques ouvriers retardataires venus effectuer divers travaux de finition dans les aménagements. N’ayant pas réussi à quitter le navire à temps, ils s’étaient présentés au capitaine Wilde, qui avait aussitôt rappelé le remorqueur le plus proche pour les faire débarquer. Le Titanic ayant dû stopper sa marche, il quitta le port de Southampton avec une demi-heure de retard sur l’horaire prévu.
La pleine mer s’ouvrait maintenant devant l’étrave. Il restait à procéder aux ultimes vérifications de compas. Virant plusieurs fois de bord, le Titanic dessina dans son sillage un long ruban d’écume flottant comme une flamme au vent du large. L’air sifflait dans les haubans.
Lorsque le Titanic fit appel au pilote en vue des côtes françaises, le train parti de Paris arrivait à son terminus maritime. Le paquebot avait mis six heures pour
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