Il était une fois le Titanic
n’était pas superstitieux, mais en mécanicien responsable il ne pouvait taire son point de vue. Il insista et fit remarquer que les Français ne l’avaient pas installé par hasard sur leurs transatlantiques. Mais il était avant tout discipliné, respectueux de sa hiérarchie et cette fin de non-recevoir eut momentanément raison de son entêtement. Pour autant, il se jura d’en reparler à son ingénieur en chef aussitôt que le navire serait revenu de New York.
On procéda ensuite à la vérification des ancres. L’expertise touchait à sa fin. Là encore, il n’y eut aucune remarque à formuler. Pas plus que sur le fonctionnement des bossoirs et l’approvisionnement des chaloupes de sauvetage. Si bien qu’on abrégea l’exercice.
Les experts avaient eu la journée pour évaluer le bon fonctionnement des instruments de route et procéder aux manœuvres principales exigées par le règlement. De toute évidence, il ne leur en fallut pas davantage pour rendre un verdict favorable.
L’ Olympic ayant déjà fait la preuve de sa fiabilité en dépit de quelques malencontreux incidents, le Titanic bénéficia de sa bonne réputation et d’un crédit technique total auprès du ministère. Mettant le cap au sud de la mer d’Irlande, le navire fit une route rectiligne pendant deux heures encore à la moyenne de 18 nœuds, puis il rebroussa chemin. Aucune vibration ne fut constatée.
La nuit commençait à tomber sur l’estuaire de Belfast. Il était plus de 18 heures lorsque le contrôleur apposa sa signature sur le document de certification, valable un an à dater du 2 avril 1912. Il fit simplement remarquer une légère gîte sur bâbord, certainement due à la répartition provisoire du stock de charbon dans les soutes. Puis Andrews et Sanderson signèrent le transfert du liner , du constructeur à son propriétaire.
Le plus grand navire de tous les temps était déclaré apte à naviguer en toute sécurité.
Francis Carruthers fut débarqué, puis le Titanic quitta Belfast à 20 heures, direction Southampton. C’est là qu’il devait embaucher le reste de son équipage, avitailler en vivres et en eau et faire le plein de charbon que la compagnie avait pris soin de réquisitionner sur ses diverses unités, en raison de la grève des mineurs qui affectait l’approvisionnement depuis plusieurs semaines.
Moins d’une heure plus tard, Joseph Bell revenait discrètement vers Thomas Andrews, mais ce n’était pas pour lui reparler de l’arbre d’hélice. Dans la soute numéro 10, un
incendie venait de se déclarer ! Probablement une combustion spontanée, comme cela se produisait fréquemment dans les compartiments chargés de poussière de coke. Andrews lui ordonna de taire l’incident et de surveiller la progression du feu jusqu’à ce que le navire soit à quai. Là, une équipe viendrait vider la soute afin que la chaleur ne déforme pas la cloison étanche numéro 5, mitoyenne du foyer. Si cela se produisait, il serait impossible de prendre la mer et le voyage serait annulé !
Le Titanic se présenta devant Southampton le 2 avril à 23 heures, après avoir filé 23 nœuds durant les 40 milles de la traversée. Le commandant Smith fit réduire à 10 nœuds lorsque la vedette du pilote George Bowyer se présenta dans le Solent. Cinq remorqueurs de la Red Funnel Line l’assistèrent pour entrer dans le cercle d’évitement des docks, où il se positionna par l’arrière pour l’accostage au poste 44. Il y restera une semaine, au cours de laquelle des milliers de badauds viendront le contempler. Un journaliste écrira : « La vision de ce paquebot géant reste un souvenir impérissable. Il semble si colossal, si majestueux 101 . » Le spectacle était a priori banal : tout le monde connaissait l’ Olympic , depuis neuf mois qu’il faisait escale à Southampton. Mais il émanait un parfum différent de ce navire-là, une émotion très particulière que personne n’était en mesure de définir : le sentiment d’une exaltation contenue qu’un indicible malaise rendait presque indécent.
Chaque jour, un nouveau public était au rendez-vous, passant parfois des heures entières à considérer le grand navire à son appontement. Solide, inaltérable, indestructible… mais déjà victime des suspicions les plus folles et de commentaires chagrins.
Le Titanic faisait peur. Des indiscrétions couraient sur le désistement d’une cinquantaine de voyageurs, principalement issus des
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