Il était une fois le Titanic
elles se jetaient dans le vide. « En arrière-plan, on aperçoit la banquise, immense magma. Au premier plan, des blocs, énormes, taillés par les fissures, puis d’autres, de dimensions inférieures, jusqu’aux plus petits. Tous, impeccablement polis, attendent sagement leur tour pour s’élancer en direction de l’Atlantique Nord, comme a dû le faire l’iceberg du Titanic », écrivent Djana et Michel Pascal avant d’ajouter, sans doute saisis d’admiration et d’effroi : « Les icebergs évoquent des monstres voraces sortant du ventre de la banquise en forme d’estuaire. On devine toute leur sauvagerie, leur force prédatrice, leur pouvoir de se fissurer d’une seconde à l’autre. Leur comportement s’annonce aussi imprévisible que dévastateur 149 . »
Pour les Inuits, ces blocs de glace sur lesquels sont venus se fracasser les corps sacrifiés de leurs ancêtres sont animés d’une vie propre et sont considérés comme des esprits doués de conscience et d’une évidente capacité d’intervention. En vertu de cette notion primitive de la
transfiguration, les éléments auraient un rôle à jouer dans l’histoire de la terre et dans celle des hommes.
L’adhésion à cette philosophie animiste permet aux auteurs de ce voyage au cœur de la malédiction du Titanic d’affirmer, à la suite de leurs hôtes des hautes latitudes épris de chamanisme, qu’il est dangereux de provoquer la nature. Ils en concluent que l’iceberg du 14 avril 1912 ne s’est pas trouvé par hasard sur la route du plus grand transatlantique du monde et en viennent tout naturellement à se demander si le fait de se mesurer aux éléments ne constituait pas une provocation, une offense capable d’entraîner d’effroyables conséquences. Auquel cas, la catastrophe du Titanic apparaîtrait comme une réponse divine à la vanité des hommes. Une malédiction, un châtiment.
Si cette « thèse » ne fait certes pas l’unanimité parmi les historiens – elle inviterait même à sourire –, elle n’en rejoint pas moins la théorie du « mythe de l’iceberg » développée par l’épistémologiste et psychiatre Jacques-Émile Bertrand, qui développe, dans Psychanalyse et Création 150 , l’idée selon laquelle on peut reconnaître dans la partie visible de toute chose les signes plus profonds d’une réalité latente. L’iceberg de toutes les rumeurs est donc à ses yeux une matière « vivante » scientifiquement définie et démontrée : une énergie compactée mue par une onde, un flux baptisé mécanique quantique.
Si l’on en croit Richard Brown 151 , spécialiste en biologie marine, l’iceberg dont il est question à propos du drame du Titanic aurait suivi un itinéraire moins pervers que scientifique. Après avoir pris naissance pendant l’automne 1910 au cœur des glaciers de Jakobshavn, sur la côte occidentale du Groenland, il aurait flotté quelque temps vers le nord, du côté de la baie de Baffin, où les courants l’auraient fait redescendre en direction du détroit de Hudson. Puis il
aurait dérivé le long de la côte du Labrador pour atteindre ensuite l’ouest de Terre-Neuve, jusque sur les Grands Bancs. C’est là que les retours de courant du Gulf Stream l’auraient entraîné vers le sud, en suivant des routes inhabituelles vers les Bermudes et les Açores en raison de sa taille et du champ de glace qui l’accompagnait, avant d’être progressivement amené à disparaître dans la mer des Sargasses.
Au moment de son invraisemblable rendez-vous avec le Titanic , explique Richard Brown, l’iceberg montrait sa face immergée au départ du fjord de Jakobshavn : celle qui se trouvait à sa base au moment de son vêlage. En se détachant de son glacier d’origine, il avait certainement arraché à la montagne une masse considérable de charbon. Après plusieurs chavirages et retournements, il dut présenter sa face la plus sombre dans la triste nuit du 14 au 15 avril : raison supplémentaire de croire les témoins qui le décriront comme une masse noire à peine visible sur l’horizon.
Depuis dix-huit mois, il dérivait au gré des courants, toujours menaçant à la lisière des Grands Bancs. Il ne pesait plus que 100 000 ou 150 000 tonnes, mais c’était tout de même trois fois plus que le plus grand navire construit par les hommes. Après s’être sans doute échoué quelque temps, disloqué peut-être sur des hauts fonds, il n’en avait pas moins repris son
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