Il était une fois le Titanic
réels. Boxhall se remémora peut-être l’accident du Columbia , de la compagnie Anchor Line, qui s’était produit au large du Cape Race, à l’endroit où se trouvait maintenant le Titanic . Un iceberg avait déchiré la proue du navire sur une dizaine de mètres, mais il avait pu regagner la côte. Et les armateurs avaient estimé qu’il n’y
avait pas lieu d’en tirer des conclusions alarmantes ! Cela n’était pas de nature à rassurer Boxhall, mais sans doute pensa-t-il que la génération du Titanic était capable d’affronter de telles situations.
Le capitaine Smith lui-même avait été confronté à cette situation lorsqu’il commandait le Majestic . L’incident remontait à 1902 et le navire avait évité l’iceberg de justesse. Mais pourrait-il se fier longtemps à sa bonne étoile ? Dix ans plus tard, en cette journée du 14 avril 1912, difficile d’imaginer qu’il n’en avait pas retenu la leçon, ni qu’aucun souvenir n’était venu lui rappeler qu’il n’aurait pas forcément une seconde chance.
À la décharge des officiers du Titanic et de ses opérateurs radio, il est possible que la surenchère d’informations concernant le champ de glace ait relativisé son importance. On ne prête plus à une information banalisée toute l’attention qu’elle mérite. Dès le mercredi suivant, 17 avril, la Compagnie générale transatlantique annoncera d’ailleurs que le Niagara venait à son tour de donner ce dimanche-là« dans un banc de glace ». La collision fut si forte, commentera L’Indépendance belge 144 , « que le commandant fit aussitôt envoyer par télégraphie sans fil le message de détresse SOS ». Le brouillard était intense. Le transatlantique marchait à une vitesse réduite. Il frôlait depuis quelque temps des glaces éparses, lorsque se produisit un choc très violent qui projeta sur le parquet les passagers réunis pour dîner et les commis du bord, au milieu des verres et des assiettes. Toute la population du paquebot se précipita aussitôt sur le pont. Le commandant fit rapidement une inspection du navire, puis il envoya par voie de télégraphie sans fil un nouveau radiogramme disant qu’il pouvait continuer sa route vers New York par ses propres moyens. Le naufrage, une nouvelle fois, avait été évité de justesse.
L’iceberg qui dérivait sur la route du Titanic , dans la région des Grands Bancs de Terre-Neuve, était de ceux qui
ont une histoire. Ce « n’était pas qu’un morceau de banquise à la dérive », suggère Henry Lang dans sa mise en perspective des ingrédients qui allaient coûter la vie au plus grand bateau du monde, mais « la représentation de bien des incohérences 145 ». Devant pareille ironie, David Brunat ne peut que s’exclamer : « Que le sort d’un navire et de ses occupants soit finalement suspendu à cette incroyable anomalie climatique laisse quelque peu rêveur 146 ! »
L’aventure des icebergs commence à l’ouest du Groenland 147 . Chaque année, entre dix et quinze mille blocs de glace de toutes tailles se détachent de la banquise avant d’errer dans les mers froides et de se disperser dans l’Atlantique Nord. Les courants marins les poussent ensuite vers le sud jusqu’à leur fonte complète, généralement aux alentours du mois de juillet.
C’est dans la mythique baie de Disko que le destin a mis en place les ingrédients du drame qui va se jouer le 14 avril
1912, à 6 000 kilomètres au sud du détroit de Davis où la montagne de glace et de roche a glissé dans l’océan plusieurs mois auparavant. Le village le plus proche s’appelle Illulisat. L’endroit respire le « mystère des glaces », notent Djana et Michel Pascal 148 , qui se sont interrogés sur la dérive et le parcours des icebergs. Celui qui devait entraver la route du Titanic et susciter la stupeur universelle avait sa propre légende.
Pour les Inuits, le site d’où s’est détaché cet iceberg était empreint de malédiction. Cette croyance remonterait à plusieurs siècles, au temps où la nourriture se faisait rare et que la seule façon de survivre était de sacrifier une partie du groupe afin de préserver la survie du clan. Les femmes les plus âgées étaient généralement désignées pour accomplir cet acte de renoncement, geste d’offrande et d’abnégation pour la perpétuation de l’espèce. Un rite s’était institué, qui conduisait invariablement ces femmes au sommet d’une falaise d’où
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