Il était une fois le Titanic
face était noire et l’autre blanche 157 .
Le matelot Joseph Scarrott fumait une cigarette sur le pont lorsque Reginald Lee fit retentir la cloche. Il témoignera que beaucoup de glace brisée fut répandue sur le pont, du côté droit du navire, au moment où celui-ci défilait le long de l’iceberg. Tentant de le dessiner par la suite, il déclarera : « Ce qui m’a frappé, c’est qu’il ressemblait au rocher de Gibraltar lorsqu’on le regarde de la pointe de l’Europe. Il semblait avoir exactement la même forme, en beaucoup plus petit 158 . »
D’autres membres d’équipage confirmeront sa taille et sa hauteur par rapport au pont supérieur du Titanic , lui-même situé à mi-hauteur entre l’ancrage du mât de misaine et le nid-de-pie, c’est-à-dire à plus de vingt mètres au-dessus de l’eau.
Le passager de première classe Jack Thayer, âgé de dix-sept ans, qui voyageait avec ses parents, laissera des croquis du naufrage sur lesquels on distingue les deux pointes de l’iceberg, si souvent décrites par les témoins. Ils affirmeront le reconnaître sur la photographie prise à partir du pont du Bremen , arrivé sur zone après le drame. « Oui, c’était bien celui-là, confirmera pour sa part le matelot Frank Osman. Il était rond avec une grande pointe qui dépassait sur le côté. Il était apparemment sombre, comme de la glace sale. J’étais à environ cent mètres de lui. C’était le plus gros des icebergs qui se trouvaient là, les autres n’auraient pas pu faire autant de dégâts, je crois 159 … » Le peintre Colin Campbell Cooper, voyageant à bord du Carpathia , le représentera le lendemain matin, lorsque le paquebot de la Cunard hissera les naufragés à son bord. Sa gouache est une vue
d’artiste, mais elle semble lui donner la même silhouette à deux pointes, dont l’une aurait mesuré plus de 75 mètres, selon certains observateurs !
L’iceberg meurtrier venait d’entrer dans la légende.
La veille à 23 h 40, alors que l’accident venait d’être porté sur le livre de bord, personne sur le géant des mers n’avait pris la véritable mesure du drame. Hormis les chauffeurs et les soutiers qui travaillaient dans l’enfer du navire, et qui furent les premiers à mourir.
7
INDÉCISE DESTINÉE
Tout de suite après le choc, le capitaine Smith arriva sur la passerelle. Relevant William Murdoch, il reprit aussitôt le commandement du navire.
Le premier ordre qu’il donna fut de stopper les machines. Puis il ordonna au lieutenant Joseph Boxhall d’inspecter les cales, afin de mesurer l’impact de la collision et l’importance des dégâts provoqués par l’iceberg. Thomas Andrews fut appelé pour qu’il se joignît à lui. Sa connaissance du Titanic serait précieuse pour diagnostiquer les avaries.
Un quart d’heure plus tard, selon certains témoignages, l’hélice principale était remise en route, en avant lente, pendant une dizaine de minutes. En apparence, rien ne se produisit d’inquiétant. Mais à minuit moins cinq, on sentit le bateau s’incliner légèrement sur bâbord avant de prendre une gîte d’environ cinq degrés sur le bord opposé. Le commandant, constatant cet inquiétant apiquage 160 vers l’avant, fit battre en arrière doucement, puis, comme la manœuvre ne rétablissait pas l’équilibre du navire, il fit à nouveau stopper les machines.
L’irréversible agonie
De la passerelle, on distinguait un champ de glace constellé de petits icebergs, dont certains miroitaient sous
les étoiles. Lorsqu’on se penchait au-dessus de l’aileron tribord, on pouvait encore apercevoir, à peu de distance, une vague masse noire hérissée de deux pointes dont l’une paraissait brisée. Quelqu’un fit simplement remarquer qu’il ne pouvait plus être visible, en raison du temps qu’avait mis le bateau à s’arrêter. Des passagers, sortis pour voir ce qui se passait, ramassaient joyeusement de gros débris de glace jonchant le pont-promenade. Mais, dans l’antre du Titanic , le tragique scénario du naufrage avait déjà commencé.
Dans le local de la poste situé dans les ponts inférieurs, les employés avaient de l’eau jusqu’à mi-jambe. Fébrilement, ils s’affairaient à déplacer les sacs de courrier dont beaucoup flottaient jusque dans les coursives.
Plus bas, dans la chauffe, les soutiers luttaient furieusement contre l’océan qui se déversait dans les cales, à flots continus, par une brèche qu’ils
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