Il était une fois le Titanic
Titanic , à 20 milles dans le nord-nord-ouest
de sa position. Le radio Cyril Evans insista pour obtenir un accusé de réception de Jack Phillips, qui le rembarra sous prétexte qu’il brouillait la ligne sur laquelle, depuis le début de la soirée, il continuait d’émettre les télégrammes des passagers. Las, l’opérateur du Californian éteignit ses appareils et partit se coucher à 23 h 30.
Au même moment, un steward du Titanic se présentait au fumoir pour annoncer aux joueurs de cartes qu’il allait devoir fermer le salon pour la nuit. Durant les neuf minutes qui suivirent, on n’entendit que le sifflement du vent dans les étais des cheminées. C’est à peine si le bruit de l’eau fendue par l’énorme étrave en lame de couteau parvint jusqu’aux oreilles des vigies.
Puis, soudain, Frederick Fleet écarquilla les yeux.
De sa main tendue, il désigna dans un halo de brume diaphane une masse sombre surgie de nulle part. Exactement sur la trajectoire du navire. Sans réfléchir, il saisit le téléphone et tourna désespérément la manivelle, jusqu’à ce que la passerelle décrochât. En même temps, Lee agita trois fois la cloche d’alerte qui tinta comme à l’intérieur d’une cathédrale, avec ce son cristallin qui glace le sang comme un tocsin.
Dans le cornet du téléphone, Fleet hurla :
— Iceberg droit devant !
Le paquebot fonçait sur l’obstacle en franchissant sept cents mètres à la minute. S’il ne réussissait pas à contourner le bloc de glace et de pierre qui lui faisait barrage dans la nuit, le désastre serait consommé.
Vingt secondes plus tard, le lieutenant Murdoch avait donné l’ordre de renverser la vapeur et de virer de bord dans un geste désespéré. 23 heures, 39 minutes et 20 secondes : il restait dix-sept secondes avant l’impact… Le calcul était trop simple pour ne pas être effrayant.
William Murdoch et son timonier, le quartier-maître Robert Hichens, dont les mains s’étaient crispées sur la barre à roue, n’étaient pas dupes. Ils savaient que le Titanic , malgré l’ordre de barre, ne réussirait pas à contourner
l’obstacle à temps. Mais il était trop tard pour changer d’option : le destin avait pris le commandement du navire. Il s’en était emparé chaque jour un peu plus, imperceptiblement, et ne le lâcherait plus désormais.
Comme les trois autres officiers présents sur la passerelle, le regard rivé sur l’iceberg dont le sommet culminait à mi-hauteur du mât de misaine, le premier lieutenant comptait les secondes comme un métronome. On pouvait l’entendre murmurer : « Trente-quatre, trente-cinq, trente-six… »
L’étrave commençait à venir lentement sur bâbord, mais il était trop tard. À 23 h 39 et 37 secondes, Murdoch ressentit une vibration sur le plancher. Comme un étrange frottement, sourd et caverneux, qui dura bien trop longtemps pour ne pas alarmer toute la passerelle.
Dix longues secondes d’éternité, sans qu’un mot fût prononcé. Un silence oppressant les avait bâillonnés.
Se ressaisissant, Murdoch fit aussitôt mettre la barre à tribord toute, afin de dégager la poupe du navire. Mais il craignait que l’iceberg eût gravement endommagé la coque sur le flanc droit. « Certainement au-dessous de la ligne de flottaison », se dit-il. Mais dans quelles proportions ? En même temps, il fit coulisser les portes étanches censées fermer hermétiquement les caissons.
Durant trente-sept secondes, l’Histoire avait hésité sur le cours de sa marche. Elle était restée comme suspendue. Pendant deux heures, les officiers, l’équipage et les passagers du Titanic vont tenter de croire qu’un miracle était possible.
Pétrifié, Frederick Fleet avait regardé l’iceberg défiler sur tribord et le grand paquebot s’enrouler autour de lui. Les machines avaient été remises en avant lente. De tout le bord, les vigies furent certainement ceux, de leur observatoire, qui virent le mieux la montagne tueuse. « Au début, dira Fleet, cet iceberg n’avait pas l’air très important, de la taille de deux tables posées côte à côte, mais il est devenu de plus en plus gros au fur et à mesure que nous nous
en approchions. Quand nous l’avons longé, il était un peu plus haut que le gaillard d’avant, qui se trouvait à environ quinze mètres au-dessus du niveau de la mer. » Pour Lee, l’iceberg était une masse sombre qui traversa la brume, une haute silhouette dont une
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