Il était une fois le Titanic
radiotélégraphiste opérant à bord du Virginian . D’abord perplexe, celui qui était également le vice-président de l’International Mercantile Marine Company faillit rembarrer l’importun qui l’avait réveillé au prétexte de cette mauvaise plaisanterie. S’il s’était présenté devant lui, sans doute l’eût-il éconduit sans ménagement. Pourtant, les détails avancés par le mystérieux interlocuteur ne laissaient pas d’occuper ses pensées. Malgré l’heure avancée de la nuit, Philip Franklin contacta l’Associated Press à Montréal afin d’obtenir de l’agence des informations plus précises. Il n’en apprit pas davantage. Il entreprit alors d’appeler la compagnie canadienne Allan Line, armateur du navire à l’origine de ce message. Et très vite la cruelle vérité tomba : le Titanic était bel et bien en train de sombrer dans les eaux noires de l’Atlantique, à deux jours de mer de New York ! Et c’était à lui qu’incombait la terrible tâche d’en informer la White Star Line. Et le monde entier.
Philip Franklin attendra fébrilement jusqu’à 6 heures, ce lundi 15 avril. Une incertitude le torturait : qu’était-il advenu des passagers ? Il était bien placé pour savoir que les vingt embarcations du bord ne suffiraient pas à les sauver tous, si personne ne se portait rapidement à leur secours.
À l’heure où Philip Franklin prenait connaissance de l’accident, la plus grande confusion régnait encore à bord du Titanic . Lentement, le navire commençait à dresser sa poupe vers le ciel. Dans cette nuit sans lune et sans vent, le pavillon bleu de la Royal Reserve, qui avait flotté fièrement depuis Southampton, était maintenant en berne.
Depuis quelques minutes, les trois gigantesques hélices affleuraient à la surface. Immobiles, elles brillaient comme si les étoiles se reflétaient dans le bronze. Le safran du gouvernail apparaissait dans toute sa hauteur, tandis que le gymnase situé sur le pont des embarcations disparaissait en partie sous les flots. En revanche, les chaudières qui n’avaient pas complètement cessé de fonctionner fournissaient encore de la lumière. Toutes les cabines étaient éclairées, si bien que le pourtour du bateau scintillait de milliers de lucioles captives de l’océan.
Un quart d’heure s’écoula, puis la mer finit par envahir le local radio. À 2 h 15, le commandant vint libérer les deux courageux opérateurs de leurs obligations. Les remerciant, il leur souhaita bonne chance et disparut à jamais.
À bord des embarcations, les rescapés regardaient le paquebot s’enfoncer inexorablement. Plus rien ne pouvait contenir sa marche vers l’abîme. Avec horreur et fascination, ils attendaient, le regard fixe, hypnotisé par ce spectacle qu’ils ne pouvaient quitter des yeux. Ils furent peu nombreux à lui tourner le dos, comme Joseph Ismay prétendra l’avoir fait dans l’espoir d’écarter les fantômes qui ne manqueraient pas de l’assaillir s’il conservait cette image dans sa mémoire.
Au milieu des malheureux qui refusaient de se résigner, courant sur les ponts en tous sens, une poignée d’hommes s’acharnaient à faire glisser l’un des trois radeaux qui se trouvaient encore arrimés en arrière de la passerelle. Il était un peu plus de 2 heures lorsque le radeau C fut prêt à glisser vers l’océan. Pris d’assaut par tous ceux qui avaient réussi à s’en approcher, il s’écarta du bastingage qui affleurait à la surface. À bord se trouvaient une quarantaine de femmes et d’enfants, dont deux petits garçons, Michel et Edmond Navratil, respectivement âgés de quatre et deux ans, que leur père, récemment divorcé, avait clandestinement emmenés pour refaire sa vie en Amérique. Il s’était embarqué sous le nom de Michel Hoffmann, un ami dont il avait subtilisé le passeport la veille de son départ. Ayant
confié ses enfants aux bons soins d’une passagère, il était resté sur le Titanic et regardait maintenant ses deux fils qui s’éloignaient dans la nuit. Bientôt le radeau ne fut plus qu’un point sur l’océan, une ombre qui s’agitait parmi les ombres et qu’il finit par perdre de vue.
Sur l’embarcation de fortune se trouvait une certaine Margaret Hays, qui avait eu l’occasion de les observer durant les premiers jours de la traversée. Voyant que leur père n’était pas auprès d’eux, elle prit l’initiative de s’en occuper. Et comme elle voulait leur
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