Il était une fois le Titanic
Lightoller : « Aucun phénomène, devait-il déclarer, tel le navire se scindant en deux et ses deux parties se dressant au-dessus de la surface, ne se produisit comme purent l’avancer certains journaux américains et britanniques 210 . »
De nombreux autres témoins soutiendront pourtant que sa partie arrière s’effondra en déchirant les ponts jusqu’à la quille, laissant la poupe tournoyer sur elle-même avant de disparaître. Le jeune Thayer soutiendra cette version qu’appuieront des croquis effectués par un passager du Carpathia : « Le pont regardait légèrement vers notre radeau », déclarera-t-il alors qu’il voyait l’arrière du bateau se lever jusqu’à faire avec la mer un angle de 65 ou 70 degrés. « À ce point, le paquebot sembla faire une pause qui me parut durer plusieurs minutes. Puis, pivotant peu à peu sur son axe, il se détourna de nous comme s’il voulait cacher à nos regards le monstrueux spectacle qui s’y déroulait 211 . » Toute la presse reproduira ses propos et les dessins qui les accréditaient, et bientôt plus personne n’entretiendra l’idée que le Titanic ait pu sombrer sans se briser à hauteur de l’escalier arrière.
En 1985, les premières plongées sur l’épave ont confirmé la théorie de la cassure. Les deux parties du navire, éloignées d’environ six cents mètres, montrent qu’elles se sont bien séparées entre la troisième et la quatrième cheminée 212 .
Lily May Futrelle, qui se trouvait à bord de l’embarcation numéro 9, résume ainsi, deux mois après le drame, la disparition du Titanic : « Il y eut deux explosions sourdes. Le navire se sépara en deux. La proue, qui pointait vers le bas, se redressa, se tordit et s’affaissa en même temps que l’arrière, exactement comme un ver de terre sur lequel on aurait posé le pied. Nous étions là, muettes d’horreur, regardant la fin de nos héros. Je crois que nous étions à moitié folles, et très exaltées par cette grande tragédie. Quand le Titanic fit son plongeon final, une jeune Française se mit à crier éperdument. Ses cris nous transpercèrent comme un couteau 213 . »
Toutes ces femmes étaient subitement devenues veuves. Mais aucune larme ne sortait encore de leurs yeux asséchés par l’horreur qui les imprimerait à jamais.
Il était 2 h 20, le 15 avril 1912 au sud de Terre-Neuve. Le Titanic n’était plus qu’une épave engloutie.
Certains naufragés se débattaient encore et, de loin en loin, leurs appels essoufflés se perdaient dans la fine épaisseur de brume qui nappait la surface de l’eau.
Éparses à l’ombre des icebergs et des glaces flottantes qui les cernaient, les embarcations de sauvetage étaient pour la plupart éloignées les unes des autres. Une grande hébétude écrasait leurs occupants. Certains ne pouvaient détacher le regard de l’endroit exact où, quelques minutes plus tôt, la coque sombre du paquebot se réverbérait dans le miroir de l’océan. D’autres prétendront que
les hurlements des noyés leur parvenaient encore des profondeurs où le navire les avait entraînés. C’était les appels de détresse que leur lançaient les naufragés qui se débattaient autour d’eux, et qu’ils avaient choisi de confondre ou d’ignorer. Pour ne plus les entendre.
10
UN CIMETIÈRE MARIN
Une heure après le naufrage du Titanic , la rédaction du New York Times en avait déjà connaissance. Il était 0h15 sur la côte Est, ce lundi 15 avril, quelques minutes seulement après que le vice-président de la White Star, Philip Franklin, eut été réveillé par l’appel téléphonique d’un journaliste.
Si l’information était arrivée jusqu’au journal que dirigeait Carr Van Anda, c’était grâce à la veille permanente que le grand quotidien entretenait à l’aide d’une station d’écoute privée située au sommet du Wanamaker, un grand magasin de la ville. Ce puissant récepteur appartenait à un certain David Sarnoff, qui travaillait exclusivement pour le Times depuis 1906. Aucune communication ne lui échappait, et c’est ainsi que lui étaient parvenus les messages de détresse du Titanic , relayés par les stations terrestres.
Pour autant, les informations que le radiotélégraphiste avait tirées de ses écoutes ne donnaient pas la clé du drame. Bien au contraire. De qualité médiocre suivant la distance, les messages étaient fragmentaires et devaient être interprétés par les journalistes.
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