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Il était une fois le Titanic

Il était une fois le Titanic

Titel: Il était une fois le Titanic Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: G.A. Jaeger
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répandu qu’on ne le croit parmi les sociétés évoluées. Pour s’en convaincre, il suffit d’écouter le commandant Smith qui, deux heures après la collision, alors que le Titanic était en train de couler avec près de mille cinq cents personnes encore à son bord, s’adressa solennellement à ses officiers pour leur recommander de sauver leur vie à n’importe quel prix. Tous ne s’exécuteront pas. Mais il y a toujours un moment où les hommes acceptent de dénoncer leurs principes et d’arbitrer leur conscience. Cette clémence a toujours un prix, n’en déplaise à la morale. Pour les resquilleurs comme pour le personnel de la White Star, il ne s’agissait plus de mourir en bravant l’adversité, mais d’être le garant de sa propre survie.
    À l’heure dernière, chacun cherche à reprendre sa liberté. « L’homme n’est-il pas pour lui-même le plus méconnaissable des êtres ? », nous a déclaré le docteur Paul Houillon, neuropsychiatre et lauréat de l’Académie nationale de médecine 192 . À cette question d’un expert de la commission
d’enquête américaine : « Pensez-vous qu’il était plus judicieux de partir dans une embarcation plutôt que de mourir sur le Titanic  ? », le matelot Frank Osman confirma ce principe en répondant sans hésiter : « Oh oui ! monsieur 193 . » Ce cri du cœur vaut toutes les dissertations. Le reste est littérature.
    L’expérience de ce naufrage montre fort peu de cas d’abnégation totale. Hormis peut-être celui du couple Straus, romanesque et pour ainsi dire d’un autre temps. N’ayant jamais été séparés dans la vie, Isidor et Ida Straus refusèrent l’un et l’autre l’injustice de la ségrégation devant la mort. Mais la plupart des exemples que nous offre la tragédie du Titanic illustrent une vérité plus prosaïque, sans doute indigne d’entrer dans les annales. Comme la légende, l’histoire préfère flatter ses héros plutôt que se nourrir des petites lâchetés. John Jacob Astor, avant de se résigner à laisser partir seule sa jeune épouse et l’enfant qu’elle portait, n’a-t-il pas tenté d’embarquer dans le dernier canot disponible, en dépit des admonestations répétées du lieutenant Lightoller ? Au point que ce dernier craignit que la femme du milliardaire ne porte plainte plus tard contre lui.
    Parmi les hommes qui embarquèrent dans les canots le 15 avril vers 1 heure du matin, se trouvait un passager qui subira plus que tout autre le mépris de ses contemporains. Pour avoir sauvé sa vie, son existence sera pour toujours entachée par l’opprobre et son nom focalisera le ressentiment des familles endeuillées par le naufrage. Cette attaque, orchestrée par la presse américaine, finira par dégénérer en une controverse qui se perpétue de nos jours. Elle est ancrée désormais dans la légende noire du Titanic . La voici.
    Durant l’heure qui suivit la collision, aucun témoin ne semble avoir aperçu le directeur de la White Star Line, Joseph Bruce Ismay. Le lieutenant Lowe finit par le repérer devant l’embarcation numéro 5, en train d’exhorter
l’équipage à plus de d’empressement dans la manœuvre. L’officier précisera aux enquêteurs qu’Ismay avait « l’air très inquiet et légèrement excité ». Selon le steward George Frederick Crowe 194 , Lowe l’aurait écarté en des termes « très grossiers », le sommant de laisser manœuvrer les matelots. « Descendez les canots ! », ne cessait de leur répéter Joseph Ismay. Le témoin ne le connaissait pas ; c’est le lieutenant qui lui apprit qu’il s’agissait du patron de la compagnie. Lowe précisera par la suite qu’Ismay agissait sans doute dans l’intérêt des passagers en voulant les aider à quitter le navire au plus vite, mais qu’en même temps il l’empêchait de faire correctement son travail. « Ismay serait ensuite allé se planter devant le canot voisin, le numéro 3, situé plus en avant sur le pont 195 . » Selon l’intéressé, ce fut avec la même intention d’aider de son mieux les passagers. Ce que confirme le colonel Gracie dans ses mémoires, car l’opération d’évacuation fut selon lui « plus ardue qu’elle n’aurait dû l’être 196  ».
    Puis on perd à nouveau la trace d’Ismay, jusque vers 1 h 40. À ce moment, le navire avait pris une inclinaison dangereuse, tandis que l’équipage chargeait les deux dernières chaloupes. C’est alors qu’un groupe

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