Il était une fois le Titanic
l’architecte naval dont la noblesse de comportement avait séduit l’opinion. Après avoir débattu des questions matérielles qui ont conduit au naufrage du paquebot, les deux
hommes en viennent à discourir sur le bien-fondé du sacrifice qui, par définition, conduit à l’héroïsation, voire à cette forme de sanctification profane qui transforme l’histoire en mythe fondateur. Thomas Andrews était-il pour autant plus courageux que Joseph Ismay ?
Sous la plume de Patrick Prior, le directeur de la White Star Line, d’abord mis en accusation par son détracteur, prend progressivement l’ascendant sur l’ingénieur en chef et constructeur du Titanic . De victime dénoncée publiquement, il sort bientôt de son mutisme et de l’embarras dans lequel on l’a maintenu depuis cent ans. À la question : « Pourquoi étiez-vous l’homme le plus dédaigneux de la terre ? » que lui pose Andrews, Ismay rétorque que « les vrais héros sont ceux qui ont eu le courage d’affronter l’opinion 204 ».
La discussion s’engage ensuite sur le choix des matériaux du Titanic , jugés fragiles par certains critiques, et sur le nombre insuffisant de canots de sauvetage embarqués, qu’Andrews n’avait pas contesté malgré les avertissements répétés d’Alexander Carlisle à qui il venait de succéder.
Sciemment, Patrick Prior remet en cause les acquis historiques en normalisant le comportement de Joseph Ismay. Est-ce un crime d’être en vie ? combien de temps encore devrai-je entendre que je suis coupable, et qui êtes-vous pour me juger ? Telles sont les bonnes questions que le dramaturge met dans la bouche de l’armateur. Et Thomas Andrews de descendre de son piédestal pour être jugé en héros cousu de fil blanc. Sans réaction, prostré dans le fumoir tandis que tous étaient à la manœuvre, sinon à la recherche d’une embarcation de sauvetage, il semble qu’il ait été tétanisé par la peur de mourir. Incapable de prendre une décision pour ses passagers ni pour lui-même. Or, si Andrews est aujourd’hui célébré, c’est plus par opposition à Ismay que pour son comportement vertueux en ces heures noires de la chronique maritime.
À travers cette pièce de théâtre originale, Patrick Prior sursoit en quelque sorte à une exécution programmée depuis trop longtemps et signe en faveur d’Ismay un droit de grâce que nous paraphons volontiers. « S’ils ne sont ni l’un ni l’autre les protagonistes principaux de l’aventure du Titanic , nous a-t-il confié, Andrews et Ismay en sont en revanche le symbole moral. »
La marche à l’abîme
Sur l’Atlantique, le temps sembla subitement s’accélérer. La proue du paquebot s’enfonçait maintenant dans l’océan jusqu’au niveau de l’étrave. Une heure et demie après la collision, le nom du Titanic avait disparu sous les flots.
Dans les compartiments de troisième classe, des centaines de passagers étaient encore pris au piège. Des hommes et des femmes trop soumis et disciplinés pour envisager de se révolter devant la mort. Walter Lord évoque un certain Olaus Abelseth, qui considérait l’accès au pont des embarcations comme un privilège auquel il n’avait pas droit 205 !
Alors qu’on descendait les deux dernières chaloupes, le navire gîta subitement sur bâbord en les balançant dangereusement au bout de leurs câbles. Le canot numéro 9 fut aussitôt déporté vers l’extérieur en formant un angle impressionnant avec la muraille d’acier qui venait de basculer, tandis que de l’autre côté le numéro 10 fut plaqué sur son flanc, au risque de se briser. Cinq minutes plus tard, soumis à l’oscillation des tonnes d’eau de mer qui se répandaient dans les cales, le géant blessé revenait sur tribord dans un vacarme assourdissant mêlé de geignements de tôles et de chocs violents provoqués par l’effondrement des installations mécaniques et du mobilier. C’était, au-delà de toute réalité, un spectacle où l’irrationnel le cédait à l’absurde.
Il n’était que minuit sur la côte Est 206 lorsque Philip Franklin, directeur de la White Star Line pour les États-Unis, fut réveillé par un étrange coup de téléphone. Son interlocuteur, se présentant comme journaliste, lui demanda confirmation de l’accident dont le Titanic aurait été victime au large de Terre-Neuve. La nouvelle venait d’être diffusée par la station maritime de Montréal, qui la tenait elle-même du
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