Il était une fois le Titanic
des embarcations et leur soixantaine de passagers. Ne les connaissant pas, les officiers et les matelots désignés pour faire descendre les chaloupes les envoyèrent à moitié vides pour les alléger. À quoi il faut ajouter leur incapacité, pour la plupart, à gérer le flux grossissant des hommes, des femmes et des enfants qui se pressaient autour d’eux.
La mauvaise réputation de l’équipage, une simple rumeur au départ du navire, se répandit comme une traînée de poudre au lendemain du 15 avril. Une partie des matelots, en effet, avaient été engagés à la dernière minute, sans qu’on eût pris soin de vérifier leur moralité ni surtout, ce qui est plus grave, leurs qualifications. À telle enseigne que l’on avait engagé dans la précipitation des gens qui n’avaient jamais pris la mer !
Un exemple parmi d’autres parle en leur défaveur. Après avoir attendu plus d’une heure devant la chaloupe numéro 4, une femme a raconté comment le deuxième lieutenant Lightoller lui-même, pourtant rompu aux exigences de son métier, avait supervisé l’embarquement dans ce canot. « Ayant ordonné de descendre la baleinière
au niveau du pont qui se trouvait juste au-dessous de nous pour que nous puissions y accéder plus facilement, l’officier se rappela, mais trop tard, que les ouvertures de la galerie étaient fermées par des vitres ! Après avoir fait remonter le canot, il constata que la confusion était telle sur le pont supérieur qu’il valait mieux que nous redescendions. Il fit alors ouvrir les baies vitrées qui avaient été verrouillées pour le voyage, mais lorsque ce fut chose faite, les chaloupes étant trop éloignées du bastingage, on dut utiliser les chaises longues en guise de passerelles pour y monter, avec toutes les difficultés que cela représentait 281 … »
Il reste à relever le nombre particulièrement élevé de marins et de personnels du bord qui montèrent dans les canots de sauvetage, non seulement en regard de la totalité des rescapés, mais aussi par rapport aux statistiques. Deux cent quatorze d’entre eux sauvèrent ainsi leur vie. Le chiffre est certes faible en valeur absolue, puisque six cent quatre-vingt-cinq autres périrent dans le même temps. Mais c’est nettement plus que les hommes, femmes et enfants de chacune des trois classes de passagers prise séparément 282 . Cela tend à confirmer le fait que l’embarquement se déroula dans un branle-bas général, sans organisation ni ordres de l’équipage dont les devoirs d’assistance prioritaire aux passagers ne semblent pas avoir été spécifiés ou, à tout le moins, respectés.
Épilogue
UN ÉPIPHÉNOMÈNE ORDINAIRE
La cruelle mésaventure du Titanic avait pris le monde au dépourvu. Pour pallier cette incompréhension, les hommes s’étaient trouvé des explications rassurantes, des coupables désignés pour expliquer l’indicible. En imposant une vision légendaire de l’Histoire qui la rendait un peu plus supportable, l’humanité avait cru se dédouaner de ses erreurs.
Deux ans plus tard, la guerre vint cautionner l’idée qui prévalait en filigrane dans le naufrage du 15 avril 1912. En disparaissant au fond de l’abîme, le Titanic était devenu l’emblème d’un échec, d’une ambition sacrifiée sur l’autel de l’impudence. On changeait brusquement de siècle, les anciens régimes étaient détrônés. Or, pour en rendre compte devant l’Histoire, il fallait circonscrire les erreurs du passé en pointant sur elles un doigt vengeur. Et donner des responsables en exemple aux générations futures par le truchement d’un théâtre d’ombres.
Pourtant, en dépit des transformations psychologiques issues de cette épreuve et de la relecture historique des événements, les doutes suscités par la prodigalité de la légende n’ont jamais récusé sa prédominance, bien au contraire. Pas même l’idée toute simple que le Titanic ait pu être la victime d’un terrible concours de circonstances sans message ni symbolique particulière, d’un épiphénomène ordinaire. « Quand une pierre tombe dans un étang,
qui sait jusqu’où se propage l’onde de choc ? », aimait à dire Paul Guimard 370 .
Les facéties du hasard sont inépuisables. Ainsi l’aventure du Titanic . La bonne question n’est-elle pas : à quel moment s’est produit le premier impact sur la vie du grand transatlantique déchu ? Nous avons tenté d’y répondre en privilégiant la
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