Il fut un jour à Gorée
grand profit du commerce triangulaire…
Birago a appris à l’école que la Révolution française avait décrété l’égalité des hommes. Alors, me demande-t-il, c’était une égalité limitée aux citoyens blancs ? Les révolutionnaires à Paris n’ont-ils rien fait pour aider les populations noires ?
Si. La France, secouée par les convulsions de la Révolution, a annoncé l’égalité des hommes, quelles que soient leur religion ou leur couleur de peau. Elle ne pouvait donc laisser une partie de la famille humaine à la porte de la liberté… L’abbé Henri Grégoire, notamment, s’est élevé contre toutes les injustices. Il a lutté pour que les Juifs de la République puissent accéder au titre de citoyen, et il a combattu inlassablement pour abattre l’abominable institution de l’esclavage.
Le 4 février 1794 – le 17 pluviôse de l’an II selon le calendrier révolutionnaire – un décret de la Convention a supprimé l’esclavage dans toutes les colonies françaises. Devant trois députés de Saint-Domingue, dont un ancien esclave noir, le député d’Eure-et-Loir se leva et prononça ces mots :
— En travaillant à la Constitution du peuple français, nous n’avons pas porté nos regards sur les malheureux Nègres. La postérité aura un grand reproche à nous faire de ce côté. Réparons ce tort…
Sous les applaudissements, le président de la Convention prononça l’abolition de l’esclavage. On raconte qu’une citoyenne noire, qui assistait à la séance, saisie d’émotion, perdit connaissance…
Hélas, cette décision ne fut jamais réellement appliquée et, huit ans plus tard, Napoléon Bonaparte, subissant la pression des planteurs antillais, la supprima d’un trait de plume. La Révolution, qui avait abattu la monarchie et inventé la République moderne, n’a rien apporté au sort des esclaves noirs.
C’est donc, encore une fois, vers la suppression de la traite que les abolitionnistes ont dû tourner leurs espoirs. Et là, ce n’est pas la France qui a été à la pointe du combat, mais la Grande-Bretagne.
Dans ce pays, la cause anti-esclavagiste gagnait de nombreux partisans et ceux-ci estimaient un peu naïvement que l’interdiction de la traite finirait, tout naturellement, par supprimer l’esclavage. Mais ce juste combat rencontrait de nombreux opposants. En particulier des planteurs des colonies, des propriétaires de bateaux et des banquiers. Ceux-ci estimaient que la fin de la traite ruinerait pour longtemps l’économie britannique. Et, pis encore, que la fin de l’esclavage serait une catastrophe majeure pour la Grande-Bretagne.
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Dans les décennies suivantes, trois hommes vont incarner le triomphe du combat contre l’esclavage : l’Anglais William Wilberforce, le Français Victor Schoelcher et l’Américain Abraham Lincoln. Trois noms que tu dois retenir car, s’ils n’ont pas été les seuls, s’ils n’ont pu agir sans le soutien des peuples, ils ont symbolisé la morale et la conscience des nations.
William Wilberforce fut un des premiers héros de l’abolitionnisme. À Londres, devant le Parlement, il plaida plusieurs fois contre le système esclavagiste. Finalement, son opiniâtreté fut couronnée de succès et la Grande-Bretagne supprima la traite négrière en 1808. L’importation d’esclaves africains était désormais interdite. En revanche, le principe de l’esclavage, lui, n’était pas remis en cause. Mais cette décision constituait un premier pas.
Les États-Unis interdirent à leur tour l’importation d’esclaves quatre ans plus tard. La France attendit 1827 pour se plier à la nouvelle morale universelle. Mais ces interdictions successives posaient un véritable problème économique aux planteurs. Désormais, ils ne pouvaient compter que sur les Noirs présents dans le pays, qu’ils se vendaient les uns aux autres. Et, bien évidemment, au grand désespoir des propriétaires, les prix des esclaves s’envolèrent ! Un jeune Noir de dix-huit ans pouvait être acheté aux États-Unis pour 650 dollars en 1845. La même « marchandise » valait 1000 dollars en 1850 et le double quinze ans plus tard.
Dès lors se fit jour une nouvelle forme d’abomination : l’élevage des esclaves ! Les maîtres sélectionnaient soigneusement les « étalons » et les « reproductrices ». Il ne fallait pas se tromper, car il s’agissait d’un réel investissement qui pouvait rapporter de
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