Il fut un jour à Gorée
l’argent, mais pas avant plusieurs années. Une bonne « reproductrice » valait de plus en plus cher sur les marchés d’esclaves, elle était donc particulièrement bien soignée et abondamment nourrie… On ne lui demandait que de mettre au monde de beaux et solides « Négrillons » qui deviendraient le plus rapidement possible des esclaves utiles et résistants.
Dans le même temps, si la traite était officiellement interdite, un commerce clandestin s’organisait. Des vaisseaux portugais, espagnols et brésiliens refusaient de se plier aux règles internationales et continuaient d’importer des « Nègres ».
Encore une fois, la Grande-Bretagne prit la tête des pays européens pour exiger le respect des nouvelles lois. Avec l’accord des autres nations, les navires britanniques se firent les policiers de la mer. Des navires de guerre et des forces considérables sillonnaient les océans pour arrêter les bateaux des négriers. De véritables poursuites se déroulaient sur les eaux. Et les contrevenants risquaient gros : s’ils étaient Anglais, ils encouraient même la peine de mort.
Les négriers, bien décidés à ne pas renoncer à leur commerce rentable, construisirent des bateaux plus petits et plus rapides. Résultat : la situation des captifs devenait plus intolérable encore, si c’était possible. Les cales, terriblement exiguës, n’offraient à la « marchandise » que des réduits étouffants où les épidémies se multipliaient. Et en cas de « danger », dans la terreur d’être pris, arrêtés et traduits en justice, les négriers jetaient leur cargaison par-dessus bord…
En France, dans un discours à la Chambre des députés, l’écrivain Benjamin Constant, chef du parti libéral, décrivait cette horreur : « Voyez les rapports officiels relatifs à la
Jeanne Estelle
: quatorze Nègres étaient à bord ; le vaisseau est surpris ; aucun Nègre ne s’y trouve ; on cherche vainement ; enfin un gémissement sort d’une caisse, on ouvre ; deux jeunes filles de douze et quatorze ans y étouffaient ; et plusieurs caisses de la même forme et de la même dimension venaient d’être jetées à la mer. »
Dans ces conditions, et malgré les navires anglais en patrouille sur les océans, en dépit de mille deux cent quatre-vingt-sept négriers arrêtés entre 1825 et 1865, on estime généralement que plus d’un million de captifs africains ont été déportés clandestinement à cette époque vers les Amériques.
Birago lève vers moi ses grands yeux… « L’interdiction de la traite n’a donc servi à rien ! La situation se révélait encore plus mauvaise qu’auparavant… »
En effet, les abolitionnistes se rendirent bientôt compte que d’une part, malgré la loi, la traite négrière n’était pas terminée et que, d’autre part, dans les plantations, les Noirs continuaient d’être exploités et, pis, reproduits dans un « élevage » abject. Il était donc évident qu’il fallait changer de stratégie et porter tous les efforts vers une abolition pure et simple de l’esclavage.
Ici encore, la Grande-Bretagne montra l’exemple. Elle chercha, dans un premier temps, à améliorer le sort de l’esclave. Une série de décisions mettait fin aux anciennes habitudes. On supprima l’usage du fouet. Un jour de congé hebdomadaire fut institué pour être consacré à l’éducation religieuse. La durée du travail quotidien se vit réduite à neuf heures.
Ces mesures amélioraient la vie des Noirs, mais surtout elles impliquaient une vérité nouvelle : l’esclave n’était plus tout à fait un objet ! En tout cas, on ne pouvait plus disposer de lui comme avant.
Ces décrets mirent en effervescence le monde des colonies britanniques. Les maîtres protestaient contre ce qu’ils considéraient comme « des empiétements aux droits de propriété ». À la Jamaïque, certains menaçaient de se séparer de la métropole anglaise et d’entrer dans la fédération des États-Unis. Les esclaves, sentant souffler un vent nouveau, cherchaient à briser leurs chaînes sans attendre d’autres décisions du Parlement londonien.
En Guyane britannique, par exemple, des soulèvements éclatèrent en 1823. Des milliers d’esclaves noirs s’en prirent aux propriétaires blancs et tuèrent deux régisseurs de plantations. La répression fut à l’image des plus sombres époques esclavagistes : l’armée intervint, tuant des centaines
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