Il fut un jour à Gorée
l’UNESCO a lancé en 1994 le projet « La Route de l’esclave » à Ouidah au Bénin, l’une des plaques tournantes de la traite négrière. Ce projet a pour objectif de développer les connaissances sur cette traite et sur l’esclavage, de faciliter leur intégration dans les programmes éducatifs et enfin de promouvoir les interactions culturelles générées par cette tragédie dans les différents continents concernés. Au-delà de l’hommage rendu à Joseph N’Diaye comme avocat de ce devoir de mémoire, cet ouvrage vise à rappeler les échanges et l’immense diversité culturelle qui ont émergé de cette rencontre violente entre les peuples provoquée par la traite négrière sur les cinq continents. Comme Joseph N’Diaye aime à le faire remarquer, il s’agit de « se rappeler cette histoire, de l’enseigner à nos enfants pour comprendre le présent et mieux préparer l’avenir ». J’espère que cet ouvrage permettra aux jeunes lecteurs non seulement de prendre connaissance des souffrances vécues par les victimes de la traite négrière mais aussi de comprendre le drame que peuvent vivre les hommes, les femmes et les enfants qui subissent aujourd’hui de nouvelles formes de l’esclavage moderne.
Koïchiro Matsuura
INTRODUCTION
Durant plus de trois siècles, des millions d’Africains furent déportés aux Amériques et aux Antilles pour travailler jusqu’à l’épuisement dans les exploitations de coton, de sucre, de tabac ou de café. Des hommes, des femmes et des enfants ont été sacrifiés pour la richesse des colons et le confort des sociétés européennes et américaines.
Sur la côte occidentale de l’Afrique, des comptoirs organisaient cette « traite négrière ». L’un des plus importants se situait à Gorée, petite île au large de Dakar, la capitale du Sénégal…
Sur les rives occidentales de l’Afrique, il y avait d’autres « esclaveries », bien sûr, d’autres maisons d’où partaient les Noirs capturés, mais celle de Gorée reste la plus célèbre. Peut-être parce que cette île a mieux préservé les traces de l’Histoire, elle a conservé les vieilles pierres qui continuent de nous parler. Peut-être parce que les lieux paraissent ici encore imprégnés de la souffrance d’autrefois.
À Gorée, personne n’a oublié. La maison des Esclaves est toujours là, avec ses murs et ses colonnes rouges. Aujourd’hui, cette bâtisse construite en 1776 est devenue le musée de l’Esclavage, un lieu où vit le souvenir. Car il ne faut pas oublier les générations qui nous ont précédés et qui ont souffert sur cette terre.
Depuis de longues années, je m’occupe de ce musée. J’ai consacré ma vie à la mémoire de mon peuple. Je me suis battu pour que la réalité de ce que fut l’esclavage soit connue et reconnue.
Des personnalités célèbres sont venues visiter la maison des Esclaves. J’y ai reçu Bill Clinton, alors Président des États-Unis. Sa présence revêtait une grande signification, car les Noirs de l’Amérique d’aujourd’hui sont les descendants des esclaves d’hier… Leurs ancêtres sont parfois partis de Gorée pour aller enrichir les planteurs de Virginie, de Caroline ou de Géorgie. J’ai accueilli aussi le pape Jean-Paul II, qui a eu le courage de demander pardon au nom de l’Église. Il s’excusait ainsi de l’attitude des ecclésiastiques qui, jadis, bénissaient les bateaux et les cargaisons en partance pour l’autre bout de la mer… même lorsque cette cargaison était faite d’êtres humains à vendre ! Ainsi, d’une certaine manière, l’Église autorisait et sanctifiait ce commerce honteux. Pis encore, les ordres religieux profitaient pleinement du système esclavagiste. À la Martinique, par exemple, les moines dominicains avaient une sucrerie où travaillaient cinq cents esclaves. Les jésuites possédaient en Guyane des exploitations sucrières et une plantation de cacao qui utilisaient neuf cents esclaves. Le pape savait pourquoi il devait présenter ses regrets…
Mais il n’y a pas que les célébrités qui se rendent à Gorée. Le plus souvent j’y rencontre de simples visiteurs, de toutes les couleurs, venus de tous les coins de la planète. Leurs pleurs me bouleversent et me transpercent jusqu’au tréfonds de mon âme. Je pense alors que nous sommes tous unis dans le respect de la mémoire. Nous sommes tous semblables, nous appartenons tous à la grande communauté des
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