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Il fut un jour à Gorée

Il fut un jour à Gorée

Titel: Il fut un jour à Gorée Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Joseph N’Diaye
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prendre la fuite. Plus tard, elle décida de s’enfuir à son tour et de monter vers les États anti-esclavagistes. En effet, dans le Nord, où ne se trouvaient pas de grandes plantations, la majorité de la population refusait et condamnait l’esclavage.
    Parvenue en Pennsylvanie, Harriet Tubman sentit souffler sur elle le vent de la liberté. « Je regardais mes mains, écrivait-elle, pour voir si j’étais la même personne. Tout était baigné dans une lumière glorieuse : le soleil filtrait comme de l’or à travers les arbres ; j’avais la sensation d’être au paradis. »
    Elle habita alors Philadelphie, où elle rencontra un certain William Still, responsable du « chemin de fer ». Elle se lança immédiatement dans cette action. On estime qu’à elle seule, Harriet Tubman a organisé la fuite de trois cents esclaves. Les Noirs d’Amérique l’ont surnommée « la Moïse de son peuple » par allusion au Moïse biblique qui avait libéré les Hébreux de l’esclavage en Egypte.
    Un negro spiritual, un hymne chanté dans les églises noires, garde le souvenir d’Harriet. Tu connais peut-être cette chanson qui évoque Moïse réclamant au pharaon d’Égypte la libération des esclaves.
Let my people go,
dit le prophète. Laisse partir mon peuple… Le texte est codé à la manière des militants du « chemin de fer ». Pour le comprendre et lui donner tout son sens, il suffit de savoir que l’Égypte représente ici le sud des États-Unis. Pharaon désigne les propriétaires d’esclaves. Moïse, c’est Harriet Tubman.
    Laisse partir mon peuple… Bientôt ce chant ne sera pas seulement celui des esclaves. Dans toutes les nations, des voix vont se faire entendre pour mettre fin à une pratique abominable.

V
L’ABOLITION DE L’ABOMINATION
    L’âge et le travail ont courbé le dos de Marie. Elle n’est plus qu’une vieille femme qui, le soir, raconte aux jeunes esclaves nés sur la terre de la souffrance les images de l’Afrique qu’elle conserve en son cœur.
    On le murmure depuis longtemps : là-bas, très loin, dans le pays de France, des hommes blancs se sont dressés contre l’esclavage. Certains, paraît-il, vont jusqu’à proclamer que tous les hommes sont frères… De belles paroles, sans doute, mais rien n’a changé dans la condition de Marie. Les maîtres se montrent toujours aussi cruels et arrogants.
    Et puis soudain, une fièvre nouvelle secoue les Antilles. De jeunes Noirs défilent dans les rues et les champs, tambours en tête. Ils portent des écharpes bleu-blanc-rouge, les trois couleurs de la République qui leur a accordé la liberté !
    On le dit à Marie, on le lui répète : l’esclavage a disparu. Des jeunes gens viennent l’embrasser. « Les temps ont changé, il n’y a plus de maîtres, il n’y a plus d’esclaves ! » s’exclament-ils. Dans leurs yeux sombres éclate une lueur de fierté.
    La vieille femme regarde cette agitation avec un bonheur mêlé d’une grande lassitude. Pour elle, il est trop tard. Sa vie s’est déroulée dans un cauchemar recommencé tous les jours, que ferait-elle maintenant de cette liberté ? Elle sait qu’elle ne reverra plus les rives du Sénégal et qu’elle ne quittera jamais la plantation.
    Avec quelques autres vieillards, elle se consacrera jusqu’à son dernier souffle au travail de la canne à sucre. Contre un petit salaire, puisqu’elle est maintenant une femme libre. Libre mais brisée.
    Les jeunes, eux, les enfants des Africains, les esclaves nés loin de la terre ancienne, ensemenceront demain cette patrie donnée par le destin. Ils seront la souche de nouvelles générations qui trouveront la force de vivre et de s’exprimer. Demain. Car aujourd’hui il faut quitter les plantations, apprendre à vivre aux côtés des maîtres d’hier, découvrir la vie.
    Marie continue à exercer des petits travaux sur la plantation. Elle n’a pas quitté la cahute misérable dans laquelle s’est déroulée son existence. Où irait-elle ? Parfois encore, elle marche jusqu’à la mer pour aller rêver face à l’étendue bleue. Alors, elle imagine, au loin, là-bas, derrière le soleil couchant, les savanes de son enfance…
    Les esprits viennent danser autour d’elle. Elle sourit à des ombres qu’elle seule peut voir.
    Et puis, un soir, le cœur de Marie s’est arrêté de battre. En silence, comme il avait vécu. À cet instant, la petite fille d’Afrique est redevenue la libre Ndioba. Au

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