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Il neigeait

Il neigeait

Titel: Il neigeait Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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aussi. Cela
se sait. Beaucoup le répètent et voient dans cet accident un mauvais présage.
Six mois plus tard, en décembre, repassant le Niémen dans l’autre sens,
curieusement, l’Empereur souriait.
     
    D’Herbigny et Paulin, les barbes blanches, haillonneux comme
des mendiants, remontaient les ruelles obscures et tordues de Vilna. Tout à
l’heure, dans le faubourg de la Vieille Ville aux cent clochers, ils avaient
dépassé des cabarets sans s’arrêter ; ce seraient les premiers
établissements assaillis par l’armée de gueux qui s’étirait sur des kilomètres,
et Paulin, périssant de soif et de faim, avait protesté.
    — Là-haut, avait dit le capitaine, il y a des magasins,
des cafés, des habitants qui vont nous recevoir.
    — Et comment ils vont nous recevoir ? À coups de
gourdins ?
    — Tu raisonnes comme une cloche !
    — On va nous héberger, avec notre mine, notre
saleté ?
    — Peut-être pas avec nos mines, mais avec les colliers
de perles aux chiffons de mes pattes, ah oui, nous achèterons de quoi
ressembler à des hommes.
    — Puisse le ciel vous entendre, Monsieur.
    — Laisse le ciel à sa place, bigot ! Quel hôtelier
chasserait un officier de la chambre qu’il paie ?
    — Un hôtelier un peu brigand.
    — J’ai encore mon sabre.
    — La force et la victoire ne sont plus de notre côté,
Monsieur.
    — Tais-toi !
    L’haleine de leurs paroles avait gelé en glaçons sur les
moustaches et les mentons poilus ; la réalité ne prêtait guère à
l’optimisme. Le capitaine et son domestique se retrouvaient seuls dans le
naufrage. Sitôt connu, le départ de l’Empereur avait augmenté le désordre, même
au cœur de la Garde, chez les dragons, chez les grenadiers. Chacun n’obéissait
qu’à soi-même. Les Allemands, les Croates, les Espagnols, les Italiens se
débandaient. D’authentiques charognards se changeaient en cosaques pour
effrayer leurs anciens compagnons et les dévaliser. Dans la plaine, toujours et
toujours des corps gelés, mais en uniformes impeccables, ceux des douze mille
conscrits de Vilna venus à la rescousse de l’armée de Moscou ; ils
n’avaient pas supporté le gel du bivouac, sans transition après la douceur des
casernes.
    D’Herbigny et Paulin voyaient les volets des maisons se
fermer sur leur passage. Le capitaine trouvait cela normal :
    — Les péquins craignent toujours les soldats.
    — Monsieur, sur la placette, des cavaliers napolitains !
    — Eh bien, bourrique, allons nous établir chez eux.
    — On dirait qu’ils s’en vont…
    — Ils s’en vont, ah oui, ils s’en vont tous.
    Derrière eux se tenait un bonhomme tout en longueur que
grandissait encore son bonnet à poil des grenadiers. Il portait une redingote
d’agneau, des bottes épaisses et neuves ; sa voix de stentor, un peu
fausse mais assez puissante, traversait la fourrure qui lui couvrait le visage
jusqu’aux yeux.
    — Expliquez-vous, dit le capitaine.
    — Ils filent comme des rats, tous, le gouverneur,
l’intendance, le Trésor, même le roi de Naples. Nous avons intérêt à les
imiter, mais je connais votre voix, j’ai la mémoire des intonations. Vous êtes
le lieutenant d’Herbigny.
    — Capitaine.
    — Vous aviez un si joli casque enturbanné de panthère.
    — De veau marin. Mais qui êtes-vous ?
    — Vous n’entendez pas ? J’ai une bouche de
théâtre, messieurs !
    — Je devine, dit le capitaine, sidéré de reconnaître
l’emphase du grand Vialatoux.
    — Eh oui, reprenait le comédien, il m’a fait rêver,
votre casque, j’aurais pu jouer Britannicus en le modifiant d’un rien.
    — Ce n’était pas un jouet !
    — Non, mais un bel élément de costume.
    — À propos, pour un soldat en pleine déroute, vous
n’êtes pas vraisemblable. Trop bien nippé.
    — Une longue histoire, capitaine.
    — Vous ne pourriez pas nous la raconter dans une
taverne chauffée ? proposait Paulin, secoué de froid.
    — J’ai mieux.
    Ils s’engouffrèrent dans une venelle qui sinuait entre des
maisons fermées et le mur d’une mosquée, débouchèrent sur un rond-point.
L’épicier accrochait des volets à sa vitrine. Vialatoux cogna au portail d’un
palais en grosses pierres tristes, un valet lui ouvrit et manqua s’évanouir
devant le capitaine et Paulin qu’il prit pour des morts-vivants fraîchement
sortis de leurs tombes. L’homme entendait le français, Vialatoux le
rassura :
    — Ce sont des proches du

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