Il neigeait
hommes se reposent, se
soignent, mangent à leur faim et s’achètent des vêtements décents. Une semaine de
répit, cela devenait possible et souhaitable. Il expliqua ensuite qu’un 29 e bulletin, emporté par Montesquiou, allait être publié à Paris ; il y
décrivait presque la réalité. Il devait rentrer pour en réduire l’effet,
rassurer ses sujets par sa présence. Il demanda au baron Fain d’en rendre
compte, celui-ci pria son commis de le communiquer. Sébastien commença à lire
ce texte qu’il avait contribué à rédiger et dont il gardait une copie dans un
portefeuille du secrétariat : Jusqu’au 6 novembre le temps a été
parfait, et le mouvement de l’armée s’est exécuté avec le plus grand succès. Le
froid a commencé le 7 ; dès ce moment, chaque nuit nous avons perdu
plusieurs centaines de chevaux qui mouraient au bivouac. S’ensuivaient des
détails sur la stratégie des Russes, la chute du thermomètre, la perte totale
de la cavalerie et des voitures. L’Empereur accusait l’hiver. Il méprisait les
cosaques en termes rudes. Le bulletin fatal s’achevait comme le précédent par
des considérations sur sa parfaite santé. Le ton ne masquait pas une déroute,
et cela produirait un gros effet en France. Les maréchaux en convenaient.
— Quand partons-nous, sire ? demanda Berthier.
— Je pars cette nuit mais sans vous. Par son rang, le
roi de Naples me remplacera et vous vous tiendrez à sa disposition. L’armée a
besoin de son major général.
— L’armée…
Berthier et Murat avaient pâli. Le premier regrettait son
million et demi de rentes, ses terres de Grosbois, son hôtel parisien dont il
ne profitait jamais ; le second ne songeait qu’à reprendre en main son
royaume laissé en régence à Caroline, qui devait abuser, prier chaque matin
pour qu’il ne revienne jamais de cette malencontreuse expédition. Napoléon
sortit après avoir décidé. Murat grognait :
— Et je dois commander une armée qui n’existe
plus ?
— Obéis, disait Davout. Tu es roi comme je suis prince.
— Ah non ! Naples est une réalité, pas ta
principauté de fantaisie, ton titre vide !
— C’est toi qui es vide !
— Bernadotte avait raison !
— Il a trahi.
— Il règne sur la Suède !
— Parce qu’il a été élu par la Diète de
Stockholm !
— Je dois penser à mon peuple !
— Tu penses surtout à ton trône !
— Oui !
— Nous sommes ici pour obéir !
— À qui ?
— À l’Empereur qui t’a couronné !
— Cette couronne, elle est sur ma tête !
— Ingrat !
— Nous afons suborté le pire, dit Lefebvre pour
éteindre la querelle. À Filna, nous serons saufés.
— Sauvés ? Combien de temps ? soupirait un
Berthier très abattu.
Constant et des valets bouclaient les sacs ; Sébastien
aidait le mamelouk Roustan à répartir soixante mille francs en or dans un
compartiment du nécessaire de Sa Majesté, dans un double fond, dans une
chocolatière en vermeil. Roustan ferma le tout à clé. Le grand écuyer paierait
sur cette somme les dépenses du voyage aux relais où il avait déjà envoyé des
émissaires. Caulaincourt, justement, activait les préparatifs du départ, prévu
à la nuit. Un peloton de chasseurs à cheval de la Garde, manteaux vert foncé,
kolbacks d’ourson noir, partiraient en premier pour ouvrir la route ; on y
signalait des cosaques. Puis un traîneau emporterait un comte polonais,
ordonnance de l’Empereur qui ferait office d’interprète, avec un piqueur.
Pendant la journée, en ville, Caulaincourt avait acheté des petits chevaux
lituaniens pour compléter l’attelage des trois voitures. Napoléon emprunterait
le coupé en compagnie de Caulaincourt ; Sébastien et Roustan y rangeaient
des provisions. L’Empereur monta dans le coupé, enveloppé de laine, il
s’installa, ouvrit un sac d’ours pour s’y glisser, des gouttelettes glacées aux
sourcils et sous le nez. « Allons, monsieur le duc ! » dit-il à
Caulaincourt. Roustan se jucha sur la planche du laquais. Sébastien allait
descendre quand le grand écuyer l’invita à demeurer dans la voiture :
— Puisque vous êtes là, monsieur le secrétaire, restez-y.
— Je voyage avec Sa Majesté ?
— Si Elle a besoin de dicter une lettre, nous vous
aurons sous la main.
— Je n’ai pas prévenu le baron Fain, et…
— Et ce n’est pas grave. Dans quelques heures il nous
suivra à bord de la troisième
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