Il suffit d'un Amour Tome 2
Catherine se souvenait de ces paroles amicales et ce souvenir lui arracha un sourire.
— Ce serait peut-être cela la solution : aller rejoindre Abou-al-Khayr, connaître une autre vie...
— Pour le coup, vous êtes folle ! s'indigna Ermengarde. Avant d'arriver à Grenade, il vous faudrait traverser des pays et encore des pays : vous n'arriveriez qu'après avoir été vingt fois violée et sans doute tuée autant de fois.
Une seule suffit, répondit Catherine. Vous avez raison : restons ici et attendons. Peut-être le destin prendra-t-il la peine de me faire signe.
Mais, malgré le cadeau de Philippe, malgré sa lettre d'amour, ce Noël fut infiniment triste pour les deux femmes. Côte à côte, elles distribuèrent des présents aux paysans et aux gens du bourg, reçurent leurs vœux ; côte à côte, elles passèrent de longues heures à la chapelle, entre la crèche qu'à l'exemple de saint François d'Assise, Ermengarde installait tous les ans et le tombeau du petit Philippe. La neige ensevelissait tout le paysage. Jour après jour, en se levant et en jetant un regard par sa fenêtre, Catherine se prenait à désespérer. Il semblait que le soleil ne reviendrait jamais. Tout était froid, noir et la jeune femme sentait son cœur se glacer peu à peu.
Pourtant, sous la neige, la terre était en travail, l'hiver s'apprêtait à céder la place au printemps... et, un jour de mars, un moine monté sur une mule grise escalada le raidillon qui menait au pont-levis de Châteauvillain. Ce jour-là, les premières pousses tendres de l'herbe pointaient sur les mottes de terre brune et grasse, les premiers bourgeons éclataient aux branches nues des arbres.
À l'archer de garde qui se portait à sa rencontre, le nouveau venu demanda si Mme de Brazey résidait bien au château et, sur sa réponse affirmative, il demanda à être mené vers elle.
— Madame de Brazey me connaît bien... Annoncez le frère Étienne Chariot.
Prévenue, Catherine le fit monter aussitôt dans sa chambre. Elle était seule, Ermengarde s'étant rendue aux écuries pour une jument qui allait mettre bas.
Cette visite, qui rappelait le passé, lui faisait plaisir. Elle n'avait pas revu le moine du mont Beuvray depuis l'arrêt de bannissement qui l'avait frappé en même temps qu'Odette de Champdivers. L'ancienne favorite de Charles VI, Catherine l'avait appris peu après la naissance de son enfant, était morte à peine arrivée en Dauphiné. Les privations et les mauvais traitements endurés dans sa prison avaient eu raison de sa constitution délicate. Sa mère, Marie de Champdivers, l'avait suivie peu après dans la tombe, tuée par le chagrin.
Catherine avait ressenti une peine profonde de ces deux morts successives et, dans son esprit, le frère Étienne ne devait plus, lui non plus, appartenir à ce monde. Mais, quand il franchit le seuil de sa chambre, elle constata qu'il n'avait que très peu changé. Sa couronne de cheveux gris était presque blanche mais son visage était toujours aussi rond, ses yeux toujours aussi vifs.
— Mon frère ! s'écria la jeune femme en s'avançant vers lui les mains tendues, je n'espérais plus vous revoir en ce monde !
— J'ai bien failli le quitter, Madame, ayant été fort malade après mon séjour en prison. Mais les soins de mes frères et le bon air du Morvan m'ont rendu la santé, grâce à Dieu !
Catherine fit asseoir son visiteur auprès d'elle sur le long banc de bois surmonté d'un dais qui tenait tout un coin de la cheminée, ordonna que l'on apporte des rafraîchissements et de quoi nourrir le voyageur et aussi que l'on prépare une chambre.
— Ne vous mettez pas en peine pour moi, Madame, protesta le frère confus de cet accueil. Quand vous saurez pourquoi je viens, vous aurez peut-
être moins envie de me garder. C'est... en suppliant que j'arrive.
— Je ne vois pas bien ce que je peux faire pour vous, mon frère. Mais vous n'en êtes pas moins le très bien venu. Mangez, puis dites-moi ce que vous désirez...
Tout en faisant honneur au sanglier froid et au vin de Beaune qu'un valet lui servait, le frère Étienne s'expliqua. Depuis le 12 octobre de l'année précédente, les Anglais assiégeaient Orléans et c'était de la tragique situation de la grande ville que le moine venait parler. Bien que les effectifs anglais et bourguignons ne permissent pas un blocus total de la ville, qu'il fût encore possible d'y entrer par le nord- est, la situation des Orléanais devenait
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