Il suffit d'un Amour Tome 2
elle entra, marmotta quelque chose puis, refermant son œil, se remit à ronfler. Heureuse de n'être point obligée de parler, Catherine s'installa dans un coin, ramena un peu de paille sur elle et s'étendit, un bras sous la tête.
Elle eut l'impression qu'elle venait juste de s'endormir quand elle sentit qu'on la secouait. Le vieux pèlerin barbu était penché sur elle.
— Hé..., disait-il, hé ! Si tu vas à la grande abbaye, il est temps de te lever !
Elle ouvrit les yeux, vit qu'un peu de jour apparaissait au-dessus du hourdage et se hâta de se lever.
— La nuit a été brève, dit-elle avec un sourire d'excuse.
— Elle est toujours brève quand on est bien las ! Viens, il est temps de se mettre en chemin.
Catherine secoua la tête. Sa qualité de pèlerine l'obligeait, normalement, à faire à pied tout le chemin. Mais elle était trop fatiguée pour continuer ainsi.
Elle comptait bien employer l'une des trois pièces d'argent de Sara à trouver un bateau.
— Je ne partirai sans doute pas aujourd'hui, mentit-elle. J'ai à faire dans cette ville.
Les errants de Dieu n'ont rien à faire dans aucune ville hormis le but de leur pèlerinage ! Si tu veux être exaucée, il te faut songer seulement au lieu où tu vas ! reprocha le vieillard, scandalisé. Mais chacun fait comme bon lui semble. La paix soit avec toi !
— Et avec toi aussi !
Le pèlerin sortit. Catherine attendit quelques instants, au seuil du réduit, puis l'ayant vu se diriger vers l'autre extrémité de la ville, elle se disposa à partir et, tout d'abord, abandonna son bâton de pèlerin qui ne lui servirait plus guère puisque, comme l'avait dit le vieillard, un voyageur de la Foi n'avait pas droit aux moyens de locomotion. Mais elle s'enveloppa soigneusement dans son grand manteau parce qu'une pluie fine couvrait la ville. Puis elle descendit vers les grèves.
Il ne lui fut pas trop difficile de trouver une barque. Un homme, fluet et taciturne, assis sur des filets de pêche pliés, se trouvait là. Indifférent à la pluie, il mangeait un oignon en regardant couler le fleuve. Quand Catherine lui demanda s'il connaîtrait un batelier pour descendre au moins jusqu'à Châteauneuf, il leva de lourdes paupières grisâtres et fripées.
— T'as de l'argent ?
Elle fit signe que oui, mais l'homme ne bougea pas.
— Fais voir ! Tu comprends, c'est trop facile de dire qu'on en a ! L'argent, au temps où nous vivons, on en voit de moins en moins. Les terres sont ravagées, le commerce est mort et le roi lui-même gueux comme Job sur son fumier. Alors, maintenant, on paye d'avance.
Pour toute réponse, Catherine sortit une pièce d'argent et la mit dans la main crasseuse de l'homme. Celui-ci la fit sauter, la regarda de près, mordit dedans. Sa figure morose s'éclaira.
— Ça va, fit-il. Mais, pas plus loin que Châteauneuf ! Après on risque de tomber sur ces Godons maudits qui assiègent Orléans et je tiens à ma peau.
Tout en parlant, il faisait glisser au fleuve une barque plate et aidait Catherine à s'y installer. La jeune femme prit place à l'avant, face tournée vers l'aval du fleuve. L'homme sauta à son tour, d'un bond souple qui fit à peine tanguer l'esquif, saisit la longue gaffe qu'il planta dans l'eau et donna une vigoureuse poussée. Le courant était rapide, la barque se mit à glisser presque sans aide. Assise à la pointe, Catherine regarda défiler la ville puis les berges plates, chevelues de roseaux qui portaient encore les rouilles de l'hiver. Elle ne se souciait pas de la pluie qui mouillait son visage et dont l'épais manteau de bure la protégeait bien. Des réminiscences du passé montaient en elle, lui rendant, avec une étrange précision, les images d'autrefois. Elle se revoyait, fuyant Paris insurgé, avec Barnabé, sa mère, sa sœur et Sara... Comme elle avait aimé ce premier voyage que le vieux Coquillart avait rendu si attrayant ! Elle croyait encore entendre sa voix profonde et lente récitant doucement les vers du poète : C'est la cité sur toutes couronnée Fontaine et puits de science et de clergie Sur le fleuve de Seine située...
Mais Barnabé était mort, Paris était loin et la cité vers laquelle Catherine voguait était une ville aux abois, affamée et désespérée dont elle ne pouvait guère attendre que la mort, ou pire même : la plus affreuse désillusion. Pour la première fois, elle se demanda ce que serait l'accueil d'Arnaud et si même il la reconnaîtrait ! Tant de
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