Imperium
s’attirer la confiance d’un grand
homme est souvent, curieusement, de lui parler sans détour, ce qui laisse
imaginer une certaine candeur désintéressée. Ils prétendront aussi que cette
commission chargée de s’occuper des pirates n’est qu’un tremplin pour te
rapprocher de tes vrais objectifs, à savoir remplacer Lucullus à la tête des
légions de l’Est.
À cela, le grand homme ne put répondre que par un grognement – il
n’y avait pas d’autre réponse puisque tel était effectivement son objectif.
— Et puis ils finiront par trouver un tribun ou deux à
eux pour contrer la proposition de Gabinius.
— J’ai l’impression que tu ne devrais pas être ici,
Cicéron, se gaussa Gabinius, personnage élégant qui lissait son épaisse
chevelure ondulée en arrière pour imiter son chef. Pour atteindre notre but, il
nous faudra des cœurs intrépides, et peut-être même des poings solides, pas des
ergotages d’avocats malins.
— Tu auras besoin de cœurs intrépides, de poings, et d’avocats pour arriver à tes fins, Gabinius, crois-moi. À l’instant où tu
perdras l’immunité juridique conférée par ton tribunat, les aristocrates te
feront passer devant une cour de justice où tu devras sauver ta peau. Il te
faudra un bon avocat, tu peux y compter, et toi aussi Cornélius.
— Avançons, intervint Pompée. Tels sont donc les
problèmes. As-tu des solutions à offrir ?
— En fait, oui, répondit Cicéron. Avant tout, je
recommande fortement de ne pas faire apparaître ton nom dans le projet de loi
réclamant le commandement suprême.
— Mais c’était mon idée à moi, protesta Pompée,
exactement comme un enfant qui se fait prendre son jeu par ses camarades.
— C’est vrai, mais je persiste à penser qu’il serait prudent
de ne pas spécifier dès le début le nom de celui qui prendra les pleins
pouvoirs. Tu serais le point de mire de toutes les jalousies et frustrations du
Sénat. Même les plus raisonnables, sur lesquels nous pouvons généralement
compter, ne manqueront pas de se dérober. Tu dois absolument placer devant tout
le reste l’élimination des pirates, et non le destin de Pompée le Grand. Tout
le monde saura que le poste est conçu pour toi. Inutile de le spécifier.
— Mais qu’est-ce qu’il faudra que je dise, quand je
présenterai le projet de loi ? demanda Gabinius. Que n’importe quel
imbécile pris dans la rue peut occuper ce poste ?
— Non, bien évidemment, répondit Cicéron en faisant un
gros effort de patience. Je rayerai le nom de Pompée et le remplacerais par l’expression
« sénateur de rang consulaire ». Cela limiterait déjà le choix à une
quinzaine, voire une vingtaine d’anciens consuls encore en vie.
— Qui seraient les candidats rivaux ? s’enquit
Africanus.
— Crassus, répondit aussitôt Pompée, toujours préoccupé
par son vieil ennemi. Catulus, peut-être ; et puis il y a Metellus Pius – vieux
mais encore solide. Hortensius a des partisans ; Isauricus. Gellius.
Cotta. Curion. Et même les frères Metellus.
— Eh bien, je suppose que si tu es vraiment inquiet,
dit Cicéron, nous pourrons toujours spécifier que le commandant suprême devra
être un ancien consul dont le nom commence par un P.
Pendant un instant, personne ne réagit et j’étais certain qu’il
était allé trop loin. Mais alors, César rejeta la tête en arrière et se mit à
rire, puis les autres – voyant que Pompée affichait un pauvre sourire – résolurent
de s’esclaffer aussi.
— Crois-moi, Pompée, continua Cicéron sur un ton
rassurant, la plupart de ceux-là sont bien trop vieux et désœuvrés pour
constituer une menace. Crassus sera ton rival le plus dangereux, ne serait-ce
que parce qu’il est riche et jaloux. Mais si l’on en vient au vote, tu l’emporteras
haut la main, je te le promets.
— Je suis d’accord avec Cicéron, intervint César.
Dégageons les obstacles un par un. D’abord, occupons-nous des principes du
commandement suprême ; puis viendra le nom du commandant suprême.
Je fus frappé par l’autorité qui émanait de lui quand il
parlait, alors qu’il était le plus jeune de l’assemblée.
— Fort bien, dit Pompée en hochant judicieusement la
tête. Voilà qui est réglé. La question principale doit être l’élimination des
pirates, pas le destin de Pompée le Grand.
Et sur cette remarque, la conférence fut ajournée pour le
déjeuner.
S’ensuivit alors
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