Imperium
souvenir lointain de l’époque où il étudiait le
droit. Il régna un profond silence pendant qu’il lisait les extraits des
Annales, puis, lorsqu’il eut terminé, un brouhaha excité monta de l’assistance.
Seul Varron qui, avec ses cheveux blancs, était l’homme le plus âgé de l’assemblée
se souvenait d’avoir entendu son père parler du chaos du tribunat de Gracchus
et émit des réserves.
— Tu vas créer un précédent, assura-t-il, qui permettra
à n’importe quel démagogue de convoquer le peuple et de menacer de se
débarrasser de n’importe quel collègue dès qu’il sentira qu’il peut emporter
une majorité parmi les tribus. De fait, pourquoi s’arrêter au tribunat ?
Pourquoi ne pas faire partir un préteur ou un consul ?
— Nous ne créerions pas de précédent, fit remarquer
César avec impatience. Gracchus l’a déjà fait pour nous.
— Exactement, intervint Cicéron. Bien que les nobles l’aient
assassiné, ils n’ont pas déclaré sa législation illégale. Je comprends ce que
veut dire Varron et, dans une certaine mesure, je partage son malaise. Mais
nous menons une lutte sans merci et cela nous oblige à prendre des risques.
Il y eut un murmure d’assentiment ; à la fin, les voix
les plus décisives en faveur du projet furent celles de Gabinius et de
Cornélius, soit ceux qui devraient effectivement se dresser devant le peuple
pour faire voter la législation, et qui seraient en conséquence les premiers à
subir les représailles tant physiques que légales des nobles.
— La plèbe veut ce commandement suprême à une majorité
écrasante, et ils veulent que ce soit Pompée qui en soit investi, déclara
Gabinius. Le fait que la bourse de Crassus soit assez garnie pour acheter deux
tribuns ne devrait pas permettre de frustrer leur volonté.
Afranius voulut savoir si Pompée avait émis une opinion.
— Voici le message que je lui ai fait porter ce matin,
dit Cicéron en brandissant le rouleau. Et là, au bas de la lettre, figure sa
réponse, qui m’est parvenue ici, au moment même de votre arrivée.
Tout le monde put voir que Pompée avait tracé, de sa grande
écriture manuscrite, un seul mot en travers du papyrus :
D’accord. Cela réglait la question. Cicéron me
demanda par la suite de brûler la lettre.
Le lendemain de la réunion, un froid mordant était tombé sur
la ville, et un vent glacial s’enroulait autour des colonnades et des temples
du forum. Mais cela n’empêcha pas une vaste foule de venir. Les grands jours de
vote, les tribuns se déplaçaient des rostres au temple de Castor, où il y avait
davantage d’espace pour conduire le scrutin, aussi les ouvriers avaient-ils
travaillé toute la nuit pour dresser les ponts de bois sur lesquels les
citoyens se rangeraient en files pour voter. Cicéron arriva tôt et dans la plus
grande discrétion, avec seulement Quintus et moi pour l’assister car, comme il
nous le dit en descendant la colline, il n’était que le metteur en scène de
cette pièce, et nullement l’un de ses principaux acteurs. Il passa un petit
moment à s’entretenir avec un groupe de représentants des tribus, puis s’éloigna
avec moi vers le portique de la basilique Aemilia, d’où il aurait une bonne vue
des opérations et pourrait donner des instructions si nécessaire.
C’était un spectacle impressionnant, et je suppose que je
dois être l’un des derniers hommes encore en vie à y avoir assisté – les
dix tribuns alignés sur leur banc et parmi eux, tels des gladiateurs engagés
pour l’occasion, les deux paires de force égale formées par Gabinius et
Cornélius (pour Pompée) contre Trebellius et Roscius (pour Crassus) ; les
prêtres et les augures qui se tenaient tout en haut des marches du temple ;
le feu orangé sur l’autel, qui dessinait une tache de couleur vacillante au
milieu de la grisaille ; et, répandue par tout le forum, la foule des
votants qui, le visage rougi par le froid, piétinaient autour de l’étendard de
dix pieds de haut de leur tribu respective. Chaque étendard portait fièrement
le nom de sa tribu en grandes lettres – AEMILIA, CAMILIA, FABIA, etc. –,
de sorte que, s’ils s’éloignaient, ses membres puissent retrouver facilement l’endroit
où ils étaient censés être. On plaisantait et on discutait ferme entre les
groupes, jusqu’au moment où la trompe du héraut les rappela à l’ordre. Puis le
crieur public donna la deuxième lecture du
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