Imperium
à la veille de son élection à l’édilité. Pour une fois, il se sentit trop
épuisé pour jouer avec Tullia. Et même lorsque Terentia descendit avec le petit
Marcus pour lui montrer que le petit avait appris à effectuer deux ou trois pas
chancelants sans aide, il ne le souleva pas pour le faire sauter dans les airs
comme à son habitude, mais se contenta de lui tapoter la joue et de lui pincer
distraitement l’oreille avant de se diriger vers son bureau – et de s’arrêter
net au seuil de celui-ci en découvrant avec surprise Caelius Rufus assis
derrière sa table de travail.
Laurea, qui attendait juste derrière la porte, s’excusa
auprès de Cicéron et expliqua qu’il voulait demander à Caelius d’attendre dans
le tablinum, comme tous les autres visiteurs, mais que celui-ci avait insisté
en assurant qu’il s’agissait d’une affaire si confidentielle qu’il ne voulait
pas risquer d’être vu.
— C’est très bien, Laurea. Je suis toujours content de
voir le jeune Caelius. Mais j’ai bien peur, ajouta-t-il en serrant la main de
Caelius, que tu ne trouves ma compagnie bien morne après une journée aussi
longue et déprimante.
— Eh bien, fit Caelius avec un sourire, il est possible
que je t’apporte la nouvelle qui va te réjouir.
— Crassus est mort ?
— Au contraire, s’esclaffa Caelius, il est plus vivant
que jamais, et prévoit une grande conférence pour ce soir en prévision de sa
victoire éclatante aux élections.
— Vraiment ? fit Cicéron et, immédiatement, je le
vis revivre à l’idée d’apprendre de nouvelles révélations telle une fleur
flétrie après une ondée. Et qui assistera à cette conférence ?
— Catilina, Hybrida, César. Je ne sais pas trop qui d’autre,
mais on installait les chaises au moment où je sortais. Je tiens tout cela d’un
secrétaire de Crassus qui a fait le tour de la ville avec les invitations
pendant que se déroulait l’assemblée populaire.
— Bien, bien, murmura Cicéron. Que ne donnerais-je pas
pour coller mon oreille contre le trou de cette serrure !
— Mais ce serait possible, rétorqua Caelius. Cette
réunion aura lieu dans la salle où Crassus procède à toutes ses transactions
financières. Souvent – mais pas ce soir, d’après mon informateur – il
aime garder un secrétaire à portée de main pour prendre en notes tout ce qui se
dit sans que la partie adverse s’en rende compte. Il a donc fait faire un petit
poste d’écoute à cet effet. Ce n’est qu’une sorte de cabine aménagée derrière
une tapisserie. Il me l’a montrée un jour qu’il me donnait une leçon sur la
meilleure façon d’être un homme d’affaires.
— Tu veux dire que Crassus fait écouter ses propres
conversations ? s’étonna Cicéron. Quelle sorte d’homme d’État ferait une
chose pareille ?
— « Un homme qui croit qu’il n’y a pas de témoin
se laisse parfois aller à des promesses inconsidérées », c’est ce qu’il a
dit.
— Alors tu crois que tu pourrais te cacher là-dedans et
nous donner un compte rendu de ce qui se sera dit ?
— Pas moi, répliqua Caelius en riant. Je ne suis pas
secrétaire. Je pensais à Tiron, ajouta-t-il en m’assenant une claque sur l’épaule,
avec ses notes miraculeuses.
Je voudrais pouvoir m’enorgueillir de m’être aussitôt porté
volontaire pour cette mission suicide. Mais ce ne serait pas vrai. Au contraire,
j’invoquai toutes sortes d’objections pratiques au projet de Caelius. Comment
pourrais-je entrer chez Crassus sans me faire remarquer ? Comment en
sortirais-je ? Comment déterminerais-je qui dit quoi dans le brouhaha des
voix derrière une tenture ? Mais à toutes mes questions, Caelius avait des
réponses toutes prêtes. Le fait est que j’étais terrifié.
— Et si je suis pris ? protestai-je auprès de
Cicéron, lui livrant enfin l’essence de ce qui m’inquiétait tant, et torturé ?
Je ne peux pas prétendre être si courageux que je ne te trahirais pas.
— Cicéron pourra simplement nier avoir eu connaissance
de ce que tu faisais, intervint Caelius (ce que je trouvais pour ma part peu
encourageant). Et puis chacun sait qu’on ne peut pas se fier à un témoignage obtenu
sous la torture.
— Je crois que je vais m’évanouir, plaisantai-je
mollement.
— Reprends-toi, Tiron, dit Cicéron, de plus en plus
excité par ce qu’il entendait. Il n’y aura pas de torture et pas de procès non
plus. J’y veillerai.
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