Imperium
revers de la main. Tu sais que je le ferais si je le pouvais. Ce n’est
pas moitié aussi agréable de vivre avec Crassus que ça l’était de vivre auprès
de Cicéron. Le Vieux Chauve est un vrai salaud – pire encore que mon
père. Il me fait apprendre de la comptabilité toute la journée et on n’a pas pu
inventer quoi que ce soit de plus ennuyeux, sinon le droit commercial, qui a
été ma torture du mois dernier. Quant à la politique, qui me plaît bien, il
prend bien garde de ne rien me laisser voir de ce genre de choses.
Je voulus lui poser d’autres questions, par exemple sur la
visite de César de ce matin, mais il devint vite évident qu’il ne savait
vraiment rien des grands projets de Crassus. (Je suppose qu’il aurait pu
mentir, mais il était tellement bavard que j’en doute.) Comme je le remerciais
tout de même et m’apprêtais à partir, il me saisit par le coude.
— Cicéron doit être vraiment désespéré pour me demander
de l’aide à moi, dit-il soudain avec une gravité inaccoutumée. Dis-lui que je
suis désolé d’apprendre ça. Il vaut une bonne dizaine de Crassus et mon père
réunis.
Je ne m’attendais pas à revoir Caelius avant un bon moment
et il sortit complètement de mon esprit pour le reste de la journée, qui fut
entièrement consacrée au vote de la loi contre la corruption. Cicéron déploya
une grande activité auprès des tribus sur le forum, allant de l’une à l’autre
avec sa suite pour vanter les mérites de la proposition de Figula. Il fut
particulièrement content de trouver, sous l’étendard marqué VETURIA, plusieurs
centaines de citoyens de Gaule cisalpine, qui avaient répondu à son appel et
étaient venus voter pour la première fois. Il leur parla un long moment de l’importance
d’éradiquer la corruption et, lorsqu’il les laissa, il avait les yeux brillants
de larmes.
— Pauvres gens, marmonna-t-il, qui sont venus de si
loin simplement pour se faire ridiculiser par l’argent de Crassus. Mais si nous
arrivons à faire voter cette loi, j’aurai peut-être encore une arme pour
abattre ces scélérats.
J’avais l’impression que sa campagne était efficace et que
la lex Figula avait de bonnes chances de passer : la majorité des
électeurs n’étaient pas corrompus. Ce n’est pourtant pas parce qu’une mesure
est honnête et raisonnable qu’elle sera adoptée : c’est même le contraire,
d’après mon expérience. Tôt dans l’après-midi, le tribun du parti populaire
Mucius Orestinus – celui-là même qui, vous vous en souvenez
peut-être, avait été le client de Cicéron pour une affaire de vol – monta
aux rostres et dénonça la mesure comme étant une attaque de l’aristocratie
contre l’intégrité de la plèbe. Il cita en particulier Cicéron comme un homme « indigne
d’être consul » – ce sont ses mots exacts – qui se
posait en ami du peuple mais ne faisait jamais rien pour lui, à moins que cela
ne serve ses propres intérêts.
Cette déclaration déclencha des huées et des quolibets d’une
partie de la foule tandis que l’autre – sans doute ceux qui avaient
coutume de vendre leurs suffrages – hurlait son approbation.
C’en fut trop pour Cicéron. Il n’avait, après tout, obtenu l’acquittement
de Mucius qu’un an auparavant, et si un rat aussi choyé que celui-ci quittait
son navire maintenant, c’est qu’il devait déjà être à moitié coulé. Il se fraya
un passage jusqu’aux marches du temple, le visage rouge de chaleur et de rage,
et demanda à pouvoir répondre.
— Et toi, Mucius, qui a acheté ton suffrage ?
cria-t-il.
Mais Mucius fit comme s’il n’avait pas entendu. La foule
autour de nous montrait maintenant Cicéron du doigt, le poussait en avant et
réclamait au tribun de le laisser parler. C’était visiblement la dernière chose
que voulait Mucius. Comme il ne voulait pas non plus que cette loi passe.
Levant le bras, il annonça solennellement qu’il opposait son veto à cette loi
et, au milieu d’un tumulte indescriptible et de rixes entre les factions
rivales, ce fut la fin de la lex Figula. Figulus annonça qu’il
convoquait le Sénat pour le lendemain afin de décider de ce qu’il conviendrait
de faire.
Ce fut un moment amer pour Cicéron et quand, enfin, nous
arrivâmes chez lui et qu’il put refermer la porte sur la foule de ses partisans
qui se pressaient dans la rue, je crus qu’il allait s’effondrer comme il l’avait
fait
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