Imperium
Crassus sur la qualité de la fabrication, et, après un bref
échange sur l’endroit où il l’avait achetée et – comme toujours avec
Crassus – combien elle avait coûté, les deux hommes s’éloignèrent.
J’attendis longtemps et quand, enfin, j’osai regarder par
les petits trous, je vis que la salle était déserte. Seules les chaises
dérangées prouvaient qu’il y avait bien eu une réunion. Je dus me retenir de ne
pas écarter la tenture pour courir vers la porte : je devais, suivant
notre accord, attendre Caelius, aussi me forçai-je à rester voûté dans cet
espace minuscule, le dos au mur, les genoux remontés contre la poitrine et les
bras serrés autour. Je n’ai aucune idée de la durée de la conférence – assez
longue pour remplir les quatre polyptyques que j’avais apportés en tout cas – ni
du temps que je passai à attendre là. Il est même possible que je me sois
endormi, parce que, au moment où Caelius revint me chercher, toutes les lampes
et les bougies, y compris la mienne, s’étaient consumées et il faisait
complètement nuit. Je sursautai lorsqu’il écarta la tenture. Sans parler, il
tendit la main pour m’aider à descendre, puis nous retraversâmes la maison
endormie jusqu’à la réserve. Dès que j’eus regagné avec raideur l’allée
derrière la maison, je me retournai pour remercier Caelius.
— Pas la peine, chuchota-t-il à son tour.
Je parvins tout juste à déceler la lueur excitée dans ses
yeux à la lueur de la lune – des yeux si grands et si brillants que
quand il ajouta « Je me suis bien amusé », je sus que ce n’était pas
de la fanfaronnade, mais que ce jeune imbécile disait la vérité.
Il était bien après minuit quand j’arrivai à la maison. Tout
le monde dormait sauf Cicéron, qui m’attendait dans la salle à manger. Aux
livres éparpillés sur la banquette, je sus qu’il était resté là pendant des
heures. Il bondit en me voyant surgir.
— Alors ? s’enquit-il.
Me voyant hocher la tête pour signifier que ma mission avait
réussi, il me pinça la joue et déclara que j’étais le secrétaire le plus brave
et le plus intelligent qu’un homme d’État eût jamais eu. Je sortis les carnets
de ma poche et les lui montrai. Il en ouvrit un et le porta à la lumière.
— Ah, bien sûr, tout est dans tes fichus hiéroglyphes !
dit-il avec un clin d’œil. Viens t’asseoir, je vais te chercher du vin et tu
pourras tout me raconter. Tu voudrais manger quelque chose ?
Il regarda distraitement autour de lui ; le rôle du
serviteur ne lui venait pas facilement. Je fus bientôt assis en face de lui
avec une tasse de thé intacte et une pomme, les polyptyques disposés devant
moi, tel un écolier prêt à réciter ses leçons.
Je n’ai plus ces tablettes de cire en ma possession, mais
Cicéron conserva les transcriptions que j’en fis ensuite parmi ses documents
les plus confidentiels et, en les regardant aujourd’hui, je ne suis pas surpris
de n’avoir pas pu suivre la conversation sur le moment. Les conspirateurs s’étaient
visiblement déjà rencontrés fréquemment, et leur discussion de ce soir-là
faisait référence à des tas de choses présupposées. Il y était beaucoup
question de calendrier électoral, d’amendements à des projets de loi et de
division des responsabilités. Ne vous imaginez donc pas qu’il me suffit de lire
ce que j’avais écrit pour que tout soit clair. Il nous fallut à tous les deux
des heures passées à réfléchir sur telle ou telle remarque cryptique, à relier
ceci à cela avant que nous puissions en avoir une idée plus précise. De temps à
autre, Cicéron poussait une exclamation du genre « Quels diables d’ingéniosité !
C’est incroyable ce qu’ils sont malins ! » et se levait pour arpenter
un moment la pièce avant de se remettre au travail. Pour faire court et vous
résumer la chose en deux mots, la conspiration que montaient Crassus et César
depuis des mois se divisait en quatre parties. Premièrement, ils projetaient de
prendre le contrôle de l’État en raflant tous les postes aux élections
générales, s’assurant non seulement les deux consulats, mais aussi les dix
tribunats et une paire de prétures en plus : les agents corrupteurs
assuraient que la chose était déjà plus ou moins réglée, le soutien à Cicéron
déclinant chaque jour. En deuxième étape, les tribuns devaient proposer en
décembre une grande loi de
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