Imperium
pavées du mont Esquilin plus vite qu’un
homme au pas de course. Cicéron demanda au cocher de s’arrêter juste avant le
temple de Tellus pour nous laisser descendre et faire le reste du chemin à pied – ordre
qui me laissa perplexe jusqu’au moment où je compris qu’il voulait éviter d’être
vu par la foule de ses partisans qui avaient déjà commencé à s’assembler dans
la rue, devant notre porte. Il marcha devant moi comme souvent, les mains
derrière le dos, plongé dans ses pensées, et je remarquai que sa toge d’un
blanc éclatant était maculée de poussière. Nous passâmes derrière la maison et
entrâmes par la petite porte de service. Là, nous tombâmes sur le gérant de
Terentia, l’odieux Philotimus, qui revenait visiblement d’un rendez-vous
nocturne avec une esclave. Cicéron ne le vit même pas tant il était préoccupé
par ce qui venait de se passer et par ce qui était encore à venir. Il avait les
yeux rouges de fatigue, le visage et les cheveux brunis par la poussière du
voyage. Il me demanda d’aller ouvrir les portes pour faire entrer les gens.
Puis il monta.
Parmi les premiers à franchir le seuil, il y avait Quintus,
qui voulut naturellement savoir ce qui se passait. Lui et les autres avaient
attendu notre retour dans la bibliothèque d’Atticus jusqu’à près de minuit, et
il était tout autant inquiet que furieux. Cela me plaçait en position délicate,
et je ne pus que bredouiller qu’il valait mieux qu’il s’adresse directement à
son frère. Pour être franc, avoir vu Cicéron et ses pires ennemis tous ensemble
dans un tel décor me paraissait tellement irréel que j’aurais pu croire avoir
rêvé. Quintus n’était pas satisfait, mais je fus heureusement sauvé par le
nombre de visiteurs qui s’engouffraient par la porte. Je m’enfuis en prétextant
que je devais vérifier si tout était prêt dans le tablinum et, de là, je me
glissai dans ma petite alcôve pour me rincer le cou et le visage avec l’eau
tiède de ma bassine.
Lorsque je revis Cicéron, une heure plus tard, il faisait à
nouveau preuve de ce formidable pouvoir de récupération dont j’avais déjà pu
remarquer qu’il était l’apanage de tous les grands hommes politiques. En le
regardant descendre l’escalier en toge fraîchement blanchie, le visage propre
et rasé, les cheveux peignés et parfumés, nul n’aurait pu deviner qu’il venait
de passer deux nuits blanches. La petite maison était à présent pleine de
sympathisants. Cicéron avait le petit Marcus, dont c’était le premier
anniversaire, soigneusement perché sur les épaules, et ils furent à leur
arrivée accueillis par un tel cri d’enthousiasme qu’il dut desceller quelques
tuiles du toit : pas étonnant que le pauvre enfant se mît à pleurer.
Cicéron s’empressa de le descendre de ses épaules, de crainte que cela ne fût
interprété comme un mauvais présage, et le remit à Terentia, qui se tenait
derrière lui dans l’escalier. Il lui sourit et lui glissa quelques mots, et je
m’aperçus à cet instant pour la première fois à quel point ils étaient devenus
complices avec les années : ce qui n’était au départ qu’un mariage de
convenance s’était mué en un extraordinaire partenariat. Je ne pus entendre ce
qu’ils se dirent, puis Cicéron descendit dans la foule.
Il y avait tant de monde qu’il eut du mal à traverser le
tablinum pour gagner l’atrium, où Quintus, Frugi et Atticus étaient entourés
par une assez belle affiche de sénateurs. Parmi les personnalités présentes
pour marquer leur soutien à Cicéron, il y avait son vieil ami Servius Sulpicius ;
Gallus, le spécialiste renommé de la jurisprudence, qui avait refusé de se
porter candidat ; le vieux Frugi avec lequel, bien entendu, il avait des
liens familiaux ; Marcellinus, qui le soutenait depuis le procès Verres ;
et tous ces sénateurs qu’il avait représentés devant les tribunaux, comme
Cornélius, Fundanius, Orchivius et aussi Fonteius, l’ancien gouverneur corrompu
de la Gaule. En fait, alors que je me frayais un passage à la suite de Cicéron,
c’était comme si ces dix dernières années revenaient soudain à la vie tant il y
avait de joutes de tribunaux à demi oubliées représentées ici ; Popillius
Laenas lui-même, dont Cicéron avait sauvé le neveu d’une accusation de
parricide le jour où Sthenius était venu nous voir, était là. L’atmosphère
tenait davantage de la fête de famille
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