Imperium
s’appelaient dans la
pénombre jusqu’au moment où nous atteignîmes des grilles gigantesques, ouvertes
sur une immense villa qui trônait dans son parc et que je reconnus, grâce à la
maquette que Gabinius avait présentée au forum à une foule jalouse, comme étant
le palais de Lucullus.
Pendant des années par la suite, dès que je sentais une
odeur de ciment frais et de peinture humide, je pensais à Lucullus et au
mausolée plein d’échos qu’il s’était fait construire au-delà de l’enceinte de
Rome. Quel personnage brillant et mélancolique – peut-être le plus
grand général que l’aristocratie eût produit depuis cinquante ans, et pourtant
dépouillé de son ultime victoire en Orient par Pompée, et condamné par les
intrigues politiques de ses ennemis, dont Cicéron, à se morfondre en dehors de
Rome pendant des années, sans honneurs ni même le droit de participer aux
séances du Sénat puisque, en franchissant les limites de la ville, il aurait
perdu son droit à un triomphe. Comme il conservait encore l’imperium militaire,
il y avait des sentinelles dans le parc, et des licteurs armés du faisceau de
verges autour de la hache attendaient d’un air maussade dans l’entrée – tant
de licteurs en fait, que Cicéron estima qu’il devait y avoir un deuxième
général en service actif sur les lieux.
— Penses-tu qu’il soit possible que Quintus Metellus
soit ici aussi ? murmura-t-il alors que nous suivions l’intendant dans cet
intérieur caverneux. Par tous les dieux, je crois bien que c’est le cas !
Nous traversâmes diverses salles d’apparat remplies de
dépouilles de guerre pour arriver enfin à une grande salle baptisée la chambre
d’Apollon, où un groupe de six personnes s’entretenaient sous une fresque
montrant le dieu qui tirait une flèche embrasée avec son arc doré. Au son de
nos pas sur le sol de marbre, la conversation s’interrompit et un lourd silence
s’abattit. Quintus Metellus se trouvait effectivement parmi eux – plus
trapu, grisonnant et buriné après toutes ces années de commandement en Crète,
mais toujours le même homme qui avait cherché à intimider les Siciliens pour
les forcer à renoncer aux poursuites contre Verres. D’un côté de Metellus, se
tenait son vieil ami des tribunaux, Hortensius, dont le beau visage un peu
terne ne trahissait aucune expression, et de l’autre Catulus, aussi mince et
aiguisé qu’une lame. Isauricus, l’éminent vieillard du Sénat, était également
présent – il avait dans les soixante-dix ans en cette soirée de
juillet, mais ne les faisait pas (il comptait au nombre de ces gens qui ne font
jamais leur âge : il devait vivre jusqu’à quatre-vingt-dix ans et assister
aux funérailles de presque toutes les personnes présentes dans la pièce) – et
je remarquai qu’il tenait les transcriptions que j’avais remises à Hortensius.
Les deux frères Lucullus complétaient le tableau. Je connaissais déjà Marcus,
le plus jeune, pour l’avoir vu régulièrement sur le premier banc du Sénat.
Cependant, paradoxalement, ce fut Lucius, le célèbre général, que je ne
reconnus pas : sur les vingt-trois dernières années, il en avait passé
dix-huit à combattre. Il avait dans les cinquante-cinq ans, et je compris très
vite pourquoi Pompée était si passionnément jaloux de lui – pourquoi
ils en étaient littéralement venus aux coups quand ils s’étaient rencontrés en
Galatie pour la passation du commandement sur le front oriental –, car il
émanait de Lucullus une grandeur glacée qui faisait paraître même Catulus assez
commun.
C’est Hortensius qui mit fin à la gêne en s’avançant pour
présenter Cicéron à Lucullus. Cicéron tendit la main et, pendant un instant, je
crus que Lucullus allait refuser de la serrer car il ne connaissait Cicéron que
comme étant un partisan de Pompée et l’un de ces politiciens qui avaient
contribué à organiser sa mise à l’écart. Mais il finit par la prendre, très
précautionneusement, comme on ramasserait une éponge souillée dans des
latrines.
— Imperator, dit Cicéron en s’inclinant poliment.
Imperator, répéta-t-il avec un bref salut de la tête en direction de Metellus.
— Et lui, qui est-ce ? s’enquit Isauricus en me
désignant.
— C’est mon secrétaire, Tiron, qui a enregistré toute
la réunion chez Crassus, répondit Cicéron.
— Eh bien, tout d’abord, je n’en crois pas un
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