Imperium
coutume, Quintus endossa le rôle de directeur de
campagne tandis que le cousin Lucius se chargeait d’organiser l’affaire Verres.
Le gouverneur devait rentrer de Sicile à la fin de l’année, après quoi – à
l’instant même où il pénétrerait dans la cité – il perdrait son imperium, et avec lui son immunité contre toute poursuite. Cicéron était décidé à
frapper à la première occasion afin, si possible, de ne pas laisser à Verres le
temps d’effacer des preuves ou d’intimider les témoins. Pour cette raison, afin
de ne pas éveiller les soupçons, les Siciliens cessèrent de venir le voir, et
Lucius devint l’intermédiaire entre Cicéron et ses clients, les rencontrant en
secret en ville, dans des endroits divers. Je fus donc amené à mieux connaître
Lucius et, plus je le voyais, plus je l’appréciais. Par bien des côtés, il
ressemblait à Cicéron. Il avait pratiquement le même âge, était intelligent et
spirituel, et se montrait un philosophe talentueux. Ils avaient tous les deux
grandi à Arpinum, avaient fait leurs études côte à côte à Rome et voyagé
ensemble en Orient. Mais il y avait entre eux une différence considérable :
Lucius était absolument dépourvu d’ambition. Il vivait seul, dans une petite
maison pleine de livres, et passait ses journées à lire et à penser – occupation
des plus dangereuses qui, selon mon expérience, conduit immanquablement à la
dyspepsie et à la mélancolie. Cependant, curieusement, malgré ces dispositions
solitaires, il en vint à apprécier de quitter son bureau chaque jour, et fut
bientôt tellement enragé par les vilenies de Verres que son zèle à le faire
passer devant la justice dépassa encore celui de Cicéron.
— Nous ferons de toi un avocat, mon cousin, commenta
Cicéron avec admiration après qu’il lui eut présenté un nouvel ensemble de
déclarations accablantes écrites sous serment.
Vers la fin du mois de décembre, un incident se produisit
qui finit par rassembler, de la manière la plus dramatique, tous les pans
séparés de la vie de Cicéron. Par une matinée sombre, j’ouvris la porte et
trouvai, en tête de la file habituelle, l’homme que nous avions remarqué à la
basilique des tribuns en train de se poser en défenseur du pilier de son
arrière-grand-père – Marcus Porcius Caton. Il était seul, sans
esclave pour l’assister, et semblait avoir passé la nuit dans la rue. (En y réfléchissant,
j’imagine que c’est ce qu’il avait dû faire, même si, comme il était de toute
façon toujours débraillé – à la façon d’un mystique ou d’un saint
homme –, il était plutôt difficile de faire la part des choses.)
Naturellement, Cicéron fut intrigué et voulut savoir pourquoi un homme de si
haute naissance se présentait à sa porte : Caton, aussi bizarre fût-il,
évoluait au cœur même de la vieille aristocratie républicaine, lié tant par le
sang que par le mariage à tout un réseau de Servilii, Lepidii et Aemilii. En
fait, la satisfaction de Cicéron fut telle de recevoir un visiteur de si haute
naissance qu’il sortit en personne du tablinum pour l’accueillir et le conduire
dans son bureau. C’était le genre de client qu’il avait rêvé depuis longtemps
de trouver un matin dans ses filets.
Je m’installai dans le coin pour prendre des notes, et le
jeune Caton, peu enclin au bavardage, alla droit au but. Il expliqua qu’il
avait besoin d’un bon avocat et qu’il avait apprécié la façon dont Cicéron s’en
était remis aux tribuns, car il était monstrueux qu’un personnage tel que
Verres puisse se considérer comme étant au-dessus des lois ancestrales. Bref,
il devait épouser sa cousine, Aemilia Lepida, charmante jouvencelle de dix-huit
ans dont la jeune vie avait déjà été marquée par la tragédie. À l’âge de treize
ans, elle avait subi l’humiliation d’avoir été repoussée par son fiancé,
Scipion Nasica, jeune aristocrate hautain. Elle avait quatorze ans à la mort de
sa mère, et seize ans quand son frère avait péri, la laissant absolument seule.
— La pauvre, commenta Cicéron. Si je te suis bien,
comme elle est ta cousine, elle doit être la fille du consul d’il y a six ans,
Aemilius Lepidus Livianus, non ? Il était, me semble-t-il, le frère de ta
défunte mère, Livia ?
Comme beaucoup de sympathisants du parti populaire, Cicéron
connaissait étonnamment bien l’aristocratie.
— C’est exact.
— Eh bien,
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