Imperium
si je puis me permettre, de la part
d’un homme qui est de dix ans ton aîné. Tu ne dois pas attaquer tous les
problèmes de front. Très souvent, les meilleures affaires n’arrivent jamais
devant le tribunal. Il me semble que nous sommes dans cette situation.
Laisse-moi voir ce que je peux faire.
— Et si tu échoues ?
— Alors, tu pourras agir à ta guise. Lorsqu’il fut
parti, Cicéron me glissa :
— Ce jeune homme cherche les occasions de tester ses
principes avec le même acharnement qu’un ivrogne cherche la bagarre dans un
bar.
Néanmoins, Caton avait accepté de laisser Cicéron contacter
Scipion de sa part, et je savais que Cicéron appréciait l’occasion qui lui
était donnée d’étudier l’aristocratie de près. Il n’y avait littéralement
personne à Rome qui pût se targuer d’un meilleur lignage que Quintus Caecilius
Metellus Pius Cornélius Scipio Nasica – Nasica signifiant « nez
en pointe », qu’il tenait toujours fermement dressé –, car il était
non seulement le fils naturel de Scipion, mais aussi le fils adoptif de
Metellus Pius, chef en titre de la tribu des Metellii. Père et fils adoptifs
rentraient tout juste d’Espagne et se trouvaient pour le moment dans l’immense
propriété des Pius à Tibur. Ils étaient attendus à Rome pour le 29 décembre,
jour où ils devaient arriver à cheval derrière Pompée, dans la procession
célébrant son triomphe. Cicéron décida d’organiser une rencontre le 30.
Le 29 finit par arriver, et ce fut une journée mémorable – Rome
n’avait pas connu un tel spectacle depuis l’époque de Sylla. Tandis que j’attendais
près de la porte Triomphale, il semblait que tous les habitants de la ville
étaient sortis pour border la route. Les premiers à franchir la porte furent
les sénateurs dans leur ensemble, y compris Cicéron, qui arrivaient à pied du
Champ de Mars avec à leur tête les consuls et les autres magistrats. Venaient
ensuite les joueurs de buccin qui sonnaient la fanfare. Puis les voitures et
litières chargées du butin de la guerre espagnole – de l’or et de l’argent
en pièces et en lingots, des armes, des statues, des tableaux, des vases, des
meubles, des pierres précieuses et des tapisseries, des maquettes en bois des
villes que Pompée avait conquises et mises à sac ainsi que des panneaux sur
lesquels figuraient les noms de ces villes et des hommes célèbres qu’il avait
tués au combat. Défilaient alors, menés par les prêtres immolateurs, les gros
taureaux blancs et pesants destinés au sacrifice, leurs cornes dorées décorées
de rubans et de guirlandes de fleurs. Suivaient des éléphants – symbole
héraldique des Metellii –, de lourdes charrettes tirées par des bœufs et
chargées de cages où des bêtes sauvages en provenance des montagnes espagnoles
rugissaient et mordaient les barreaux avec rage. Les armes et les insignes des
rebelles vaincus, puis les prisonniers eux-mêmes, les partisans défaits de
Sertorius et Perperna, marchant les fers aux pieds. Il y eut alors les
couronnes et hommages des alliés, portés par les ambassadeurs de quantité de
nations, les douze licteurs de l’imperator, leurs faisceaux de haches et bâtons
tressés de laurier. Et enfin, franchissant la porte au trot dans un tumulte d’applaudissements
en provenance de la foule immense, les quatre chevaux blancs de l’imperator
firent surgir Pompée en personne, dans le char en forme de tonneau incrusté de
pierreries du triomphateur. Il était vêtu d’une toge brodée d’or et d’une
tunique à fleurs, et tenait dans sa main droite un rameau de laurier et dans la
gauche un sceptre. Il était coiffé d’une couronne de laurier de Delphes et son
beau visage, comme son corps musclé, avait été enduit de minium pour montrer qu’il
était bien en ce jour l’incarnation de Jupiter. Gnaeus, son fils de huit ans
aux boucles blondes, se tenait à ses côtés tandis que, derrière lui, un esclave
lui répétait à l’oreille qu’il était mortel et que tout cela passerait. Dans le
sillage du char, montant un cheval de guerre noir, venait le vieux Metellus
Pius, le bandage serré qui maintenait sa jambe témoignant d’une blessure
survenue au combat. Scipion, son fils adoptif, se tenait près de lui. C’était
un beau jeune homme de vingt-quatre ans et il ne me parut pas surprenant que
Lepida le préférât à Caton. Puis venaient les généraux de l’armée, dont Aulus
Gabinius, suivis
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