Imperium
superbe attendait d’escorter Cicéron
aux parcs de vote. Lorsque nous arrivâmes au Champ de Mars, nous le trouvâmes
bondé jusqu’au fleuve : on procédait à un recensement et des dizaines de
milliers de personnes étaient venues se faire enregistrer. Vous imaginez le
tumulte. Il devait y avoir une centaine de candidats pour les trente-quatre
postes à pourvoir et, sur le vaste champ ouvert, on pouvait voir ces
silhouettes éclatantes passer et repasser, accompagnées par leurs amis et
partisans, pour essayer de recueillir les toutes dernières voix avant l’ouverture
du scrutin. La chevelure rousse de Verres se faisait remarquer alors qu’il
courait partout flanqué de son père, de son fils et de son esclave affranchi
Timarchides – le personnage qui avait fouillé notre maison –,
faisant à qui accepterait de voter contre Cicéron les promesses les plus
extravagantes. Cette vision parut chasser instantanément les idées noires de
Cicéron, et il se lança lui aussi dans la campagne. Je crus à plusieurs
reprises que nos groupes allaient s’affronter, mais la foule était telle que
cela fut évité.
Lorsque l’augure se déclara satisfait, Crassus sortit de la
tente sacrée, et les candidats se rassemblèrent au pied de sa tribune. Je dois
signaler que parmi eux, pour sa première tentative d’entrée au Sénat, se
trouvait Jules César, qui se tenait près de Cicéron et entamait avec lui une
conversation amicale. Il y avait longtemps déjà qu’ils se connaissaient, et c’était
en fait sur la recommandation de Cicéron que le jeune homme s’était rendu à
Rhodes étudier la rhétorique auprès d’Apollonius Molon. L’hagiographie que l’on
dresse aujourd’hui autour des premières années de César tend à en faire un
génie remarqué par ses contemporains depuis son plus jeune âge. Il n’en est
rien, et quiconque l’eût vu dans sa toge blanchie ce matin-là, tripotant
nerveusement ses cheveux déjà clairsemés, aurait eu du mal à le distinguer des
autres jeunes candidats de bonne famille. Il y avait cependant une grande
différence : peu d’entre eux auraient pu être aussi pauvres. Pour se
présenter aux élections, il avait dû s’endetter lourdement car il habitait dans
la Subura un logement très modeste peuplé de femmes – sa mère, son
épouse et sa petite fille – et je me le représente à cette époque non
comme un héros radieux prêt à conquérir Rome mais comme un trentenaire
insomniaque, que le vacarme de son voisinage indigent empêchait de dormir et
qui ressassait amèrement l’état de pauvreté auquel lui, le descendant d’une des
plus anciennes familles de Rome, était réduit. Son antipathie envers les
aristocrates était par conséquent bien plus dangereuse pour eux que ne le fut
jamais celle de Cicéron. Ne devant son statut qu’à lui-même, Cicéron ne les
appréciait guère et les enviait tout à la fois. Mais César, qui se considérait
comme un descendant en ligne directe de Vénus, ne voyait en eux que de
méprisables usurpateurs.
Voilà que je me laisse emporter à commettre la même faute
que les hagiographes, à savoir projeter la lumière déformante de l’avenir sur
les ombres du passé. Rapportons simplement que ces deux hommes remarquables,
qui n’avaient que six ans d’écart et beaucoup en commun quant à l’intelligence
et l’apparence, bavardaient aimablement au soleil lorsque Crassus monta à la
tribune et lut la prière familière :
— Puisse cette affaire s’achever bien et heureusement
pour moi, pour mes meilleures intentions, pour ma charge, et pour le peuple de
Rome !
Puis le vote commença.
Conformément à la tradition, la première tribu à pénétrer
dans le parc fut la Suburana. Mais en dépit de tous les efforts de Cicéron
depuis des années, ses membres ne votèrent pas pour lui. Ce fut un rude coup,
qui suggérait fortement que les agents corrupteurs de Verres avaient mérité
leur prime. Cicéron se contenta cependant de hausser les épaules : il
savait que beaucoup de personnalités influentes qui devaient encore voter
observeraient sa réaction, et il importait d’afficher un masque de confiance.
Puis ce fut au tour des trois autres tribus de la cité de voter chacune à leur
tour : l’Esquilina, la Collina et la Palatina. Cicéron obtint le soutien
des deux premières, mais pas de la troisième, ce qui n’était guère surprenant
dans la mesure où il s’agissait certainement de la tribu
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