Jack Nicholson
n’était pas intéressé par le rôle. D’après Henry Jaglom, Nicholson protesta tout au long du trajet alors qu’ils se rendaient chez le coiffeur de Columbia Pictures pour faire couper ses cheveux et sa barbe en broussaille. Il était un cinéaste, pas un acteur, disait-il à Jaglom, qui crut en son numéro (et y croit toujours). « S’il avait la célébrité en tête ? Je peux vous dire que c’était la dernière chose qu’il avait en tête à ce moment-là », dit Jaglom. Ce fut sans doute l’une des meilleures scènes que Jack ait jamais jouée.
Nicholson rôda pendant des heures à Western Costume pour choisir sa garde-robe, cerner l’enveloppe externe du personnage, chose qui était essentielle à sa méthode. Il choisit un costume en coton gaufré, un maillot de corps marron, un pull avec une lettre imprimée, un casque de football américain doré et des lunettes rondes toutes simples.
Ces lunettes étaient du même type que celles que son père (ou tout du moins l’homme qu’il croyait être son père), un alcoolique, avait à une époque portées. C’était le secret de son personnage. Jack aimait les secrets, dans la vie et dans les films. Cet accessoire lui servirait à se rappeler qu’un personnage alcoolique n’était pas nécessairement grossier et pouvait être doux et agréablement nébuleux. En un sens, Nicholson avait le même sous-texte que Fonda : il jouait son père.
Jack n’avait pas le temps de travailler sur l’accent. Il pensa donc à Lyndon B. Johnson, oublia le libéralisme et décida de se rapprocher du ton nasillard du président. On peut à peine détecter la ressemblance dans le film, et les accents sont des choses que Jack a tendance à faire de façon assez brouillonne. Ce qui n’a pas tellement d’importance.
L’équipe était désormais en train de tourner dans le Sud-Ouest. Jack prit l’avion pour la rejoindre. Hopper n’eut pas d’autre choix que de se montrer pragmatique. Il tissa des liens avec Jack en partageant avec lui une expérience qui ressemblait à la cérémonie d’initiation d’une confrérie de fous.
À Taos, au Nouveau-Mexique, Hopper et Nicholson prirent du LSD puis furent conduits dans un van de la société de production à la crypte de D.H. Lawrence, située sur le flanc d’une montagne. Tandis que la drogue hallucinogène faisait effet, les deux hommes passèrent plusieurs heures à disserter sur D.H. Lawrence, à regarder les arbres, à parler d’art, de la nature du génie, et à se demander pourquoi les gens ne se montraient pas plus ouverts vis-à-vis de leurs sentiments. (Dans le film, George Hanson invoque « D.H. Lawrence » après sa première gorgée de son whiskey du matin.)
Étendus devant la tombe de granit de la femme de Lawrence, ils étaient émerveillés par ce qu’ils percevaient comme des insectes qui grouillaient au-dessus de leurs têtes. « On a parlé des insectes et on a dit qu’on était en réalité comme eux », s’est souvenu Hopper à l’occasion d’une interview. « Puis on est allés dans les sources chaudes avec une très jolie fille, il faisait nuit, on s’est baignés et puis on est repartis sur la route en courant, chacun disant à l’autre qu’il était un génie. »
Quand le van rentra, Hopper s’en alla avec la très jolie fille et Nicholson retourna dans sa chambre de motel. Là, il resta éveillé, montant prudemment la garde, persuadé de l’imminence d’une attaque d’Indiens. Il resta assis pendant longtemps à écouter le bruit d’électricité statique du poste de télévision. L’aube approcha, et Jack s’aventura dehors et grimpa à un arbre pour observer le lever du soleil, fasciné par de grands rochers blancs qui se transformaient en chevaux sauvages. Empli d’une « fantastique émotion », d’après ses propres mots, il descendit de l’arbre et suivit un troupeau de vaches dans les pâturages ouverts. Jack trébucha sur une côte de porc en plastique – un jouet pour chien –, qu’il mit dans sa poche, où elle resta pendant la plus grande partie du tournage.
Réalisant tout à coup l’heure, Nicholson se dépêcha de rentrer, assembla son costume, et se rendit en ville, exultant et épuisé. Il arriva juste à temps pour déclamer les premières répliques de la scène de la prison – le moment où George Hanson tourne la tête et où Jack Nicholson se présente pour la première fois devant le public :
Je crois que j’ai dû m’en
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