Jacques Cartier
Catherine, avec bonté.
—Un homme à la pointe de la Grande-Conchée.
—Eh bien, cela te surprend ? Ne sais-tu pas que cet ilôt est un lieu de rendez-vous pour les pêcheurs ?
—C'est vrai, mais cet homme... balbutia Constance.
—Il nous salue, dit Catherine, qui avait levé les yeux vers un amas de rochers sortant des flots à tribord de la barque.
—Sainte Vierge ! s'exclama la jeune fille en rougissant, c'est....
—Allons, mes enfants, interrompit alors la voix mâle, mais alors tremblante, de Jacques Cartier, allons, il faut nous quitter !
Et, le pilote, attirant sa femme à lui, la pressait avec effusion dans ses bras.
—Quoi ! déjà ! faisait celle-ci, qui était devenue d'une pâleur livide.
—Du courage, ma chère Catherine !
—Du courage ! ah ! je supplierai le bon Dieu de m'en donner...
—Et il ne manquera pas d'exaucer tes prières, ma bonne amie. Mais, là, ne pleure pas comme une Madeleine ou mon coeur se va fondre aussi, et je donnerai un méchant exemple à mes gens.
—Que le ciel vous protège et vous ramène le plus tôt possible près de nous, mon bien-aimé Jacques ! repartit Catherine en essuyant ses larmes.
—Oui, oui, dans trois ou quatre mois, je serai de retour...
—Soir et matin, je ferai des oraisons pour vous et dès demain nous irons, avec Constance, brûler un cierge à la chapelle de Saint-Ouen...
—Soyez sûres que, moi non plus, je ne vous oublierai pas dans mes prières, reprit Cartier d'un ton profondément ému... Mais qu'examines-tu donc là, Constance ? ajouta-t-il, en s'adressant à la jeune fille qui contemplait toujours l'homme debout à la pointe de la Conchée, que le brig avait dépassée d'une centaine de brasses.
Sans lâcher le gouvernail, Jean Morbihan s'était retourné.
—Terr i ben ! proféra-t-il à cet instant d'une voix qui fit tressaillir les auditeurs, terr i ben ! Mais c'est le maudit chef des Tondeux. Je le reconnais à la plume noire qui ombrage son chapeau.
—Tu crois ? dit ingénument Constance.
—Terr i ben ! répéta le matelot tout frémissant de colère ; capitaine, prenez ma place et laissez-moi monter dans une barque. Il faut que je m'empare de ce misérable !... il faut...
—Tu es fou ! répondit Cartier. Tu vois les Tondeurs partout, et ils n'ont jamais existé que dans ton imagination...
Morbihan était furieux, il voulut protester.
—Assez ! enjoignit sèchement le pilote, qui tira un son aigu de son sifflet.
Étienne Noël arriva sur la dunette.
—Vous m'avez appelé, mon oncle ?
—Oui. Fais tes adieux à ta future épouse et à ta tante.—Pour vous, mes aimées, dit-il aux deux dames, vous devez vous bâter. Le vent s'élève, la mer grossit. Il serait fort imprudent d'aller plus loin.
Étienne s'approcha de Constance ; il désirait parler ; il avait quelque chose, un mot d'amour à lui dire ; mais si son coeur débordait, sa gorge était serrée ; il fut incapable d'articuler une syllabe, et embrassa si gauchement la jeune fille, que Cartier ne put réprimer un sourire.
—Adieu ! adieu ! Jacques, dit encore une fois dame Catherine, en se précipitant sur le sein de son mari.
Puis, ayant tendu la main à Jean, qui mouilla cette main de ses larmes, elle descendit dans le bateau que deux hommes, qui l'avaient amenée à bord, conduisaient amarré au brig.
Constance répondit froidement à Cartier, dont l'affectueuse et paternelle étreinte ne fit vibrer aucune fibre dans son âme ingrate, fermée aux doux et bons sentiments. Ensuite, elle s'approcha du vieux Morbihan, qui, en appliquant un vigoureux baiser sur chacune de ses joues, lui souffla à l'oreille :
—Petiote, petiote, prends garde au chef des Tondeux !
—Est-ce donc lui qui était sur la Conchée ? demanda Constance avidement.
—Min Gieu, oui ! répliqua le matelot.
—Ah ! vraiment ! fit-elle d'un air surpris.
Et, elle sauta légèrement dans la barque [Je me souviens d'avoir lu quelque part que la préceinte Supérieure des vaisseaux de Cartier était si peu élevée au-dessus de la ligne de flottaison, que du pont on pouvait se laver les mains dans la mer.], sans même accorder un regard au malheureux Étienne Noël, qui demeurait comme pétrifié sur le tillac.
Dame Catherine s'était déjà placée à l'avant de l'embarcation, d'où elle pouvait voir son mari et lui adresser encore quelques signes de tendresse ; Constance s'assit à l'arrière, mais ayant en face d'elle les Conchées qu'on apercevait, avec d'autres
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