Jacques Cartier
peu ! Orgueilleux, vaniteux, hâbleur, oui !
Mais de talents ? Point. De qui descendait-il, après tout ? De Jamet, le mari à la Jeffeline Jansart ! Des gens de rien. Qui donc l'ignorait à Saint-Malo ! Son grand-père était un meurt-de-faim. Et lui, le petit Jacques, il avait voulu se distinguer ! trancher de l'homme important ! Belle importance, vraiment ! Un pêcheur de morues ! Mais, parce qu'il avait épousé la fille du connétable de la cité, cette pauvre Catherine, qu'il rendait malheureuse, c'était une horreur ! mons Cartier s'en faisait accroire. Il voulait singer les grands seigneurs. Avec quoi, mon Dieu ! Sa fortune était-elle si considérable ? Le beau savant, d'autre part ! Il avait pris des marcassites de cuivre pour de l'or, et en avait chargé ses vaisseaux à les faire sombrer ! On avait bien montré à Vordec, l'orfèvre, un petit caillou aurifère.
Mais si petit, à veine si maigre ! Tout le reste, ou à peu près, pyrites cuivreuses ou mica, bon à jeter à la mer !
Ainsi déblatérait-on, avec force sourires malins, dans maintes boutiques du haut commerce malouin.
Mais la masse du peuple ne jasait pas de même. Elle aimait Cartier. Elle rendait justice à son intrépidité, à sa persévérance. Franchement, elle applaudissait à ses succès. Car le peuple possède un sens de discernement exquis. On ne le peut tromper, ni souvent,-ni longtemps. Abusé un instant, il démêle bientôt le leurre et réagit vigoureusement contre lui.
Ce n'est pas que le premier voyage de Cartier eût donné tous les fruits qu'on en attendait. Ardentes étaient alors les espérances attachées aux navigations lointaines. Les richesses, les merveilles, les singularités inouïes, découvertes récemment au-delà de l'Atlantique par les Espagnols et les Portugais, avaient étrangement aiguisé l'appétit. Tout rayonnant de gloire, de luxe, d'éclat, le siècle s'y prêtait. Les pompes féeriques du Champ du Drap-d'Or ne sont qu'un échantillon du faste qui régnait en maître à cette époque. Nos incursions en Italie, nos rapports avec l'Orient avaient raffiné, outre mesure, chez nous le goût de la magnificence. Beau cavalier, d'une élégance innée, mais ostentatoire, le roi donnait l'exemple ; la cour suivait ; et la ville, ne voulant pas rester trop en arrière, entraînait jusqu'à la campagne. Prodigues étaient les dépenses, tout naturellement. Pour y subvenir, les ressources nationales devenaient insuffisantes. Il fallait donc s'adresser à l'étranger, à l'inconnu. Des Grandes-Indes on faisait des récits fabuleux. L'or, l'ivoire, les pierreries, les étoffes précieuses, les épices, tout ce qui constitue la délicatesse de la vie abondait.
On y marchait de surprise en surprise, d'enchantement en enchantement. Comparée à ces régions fortunées, l'Europe était une terre stérile, dépourvue, traitée en paria par la nature. Ne devait-on pas conquérir des contrées aussi injustement privilégiées, ou, pour le moins, les débarrasser du gênant fardeau de leur superflu ? Le mobile des explorations d'outre-mer est là. Par surcroît de charité, la religion vint appuyer d'un prétexte sacro-saint ce désir de spoliation. Mais c'est le butin qu'on voulait, c'est le butin qu'on exigea des vaincus.
Longue, périlleuse, cependant, se montrait la traversée de l'Europe aux Indes orientales. La seule route pour nous était celle du cap de Bonne-Espérance. Quel chemin ! Colomb pensa qu'il y pourrait aller eu cinglant à l'ouest, en la mer Atlantique. Parvenu dans le golfe du Mexique, il se crut aux confins de l'Asie. Ses compagnons, ses successeurs caressèrent la même erreur. Vasco Nunez qui, le premier, découvrit l'océan Pacifique (26 septembre 1813), n'en fut pas exempt non plus. Le Vénitien Cabot et le Portugais Cortéréal pas davantage, ni le Florentin Verazzani, quand ils reconnurent Terre-neuve, les côtes de la Floride et du Labrador. La voie des Indes orientales par le nord-ouest, les Européens l'ont toujours cherchée depuis. Ils la cherchent encore.
Seulement, aux quinzième et seizième siècles, on jugeait que l'Amérique était une pointe du continent asiatique [Voir mon Introduction à l'oeuvre de Sagard.—Tross, éditeur.]. Tout à l'heure, nous verrons que dans la troisième Commission, octroyée à Cartier, en 1540, par François Ier, il est dit que le célèbre pilote a découvert «grand pays des terres du Canada et Ochelay, faisant un bout de l'Asie,
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