Jacques Cartier
dans le cachot dès qu'elle serait détachée de son emboîtement.
Silencieusement, Georges besoignait la nuit ; le jour il se reposait, après avoir serré ses instruments sous une dalle du cachot. Il dépensa près d'un mois à faire jouer la pierre de taille dans son alvéole. Il était brisé de lassitude. Les plaies se rouvraient à ses pieds, endoloris par les pénibles stations auxquelles il les soumettait sur d'étroites lamelles de fer, et quoiqu'il eût soin de garnir ses chaussures avec des tresses de paille. Ses mains, gonflées, couvertes d'ampoules, saignaient aussi. Ses vêtements tombaient en lambeaux. Mais il n'y avait pas de temps à perdre. Ne pouvait-on à toute minute le venir prendre pour le conduire au supplice ? La vie, la liberté d'un côté, la torture, la mort de l'autre sont des artisans de courage indomptables.
Ils expliquent les prodiges d'un Latude ou d'un baron de Trenck.
Un matin, Georges, en se jetant sur son grabat, murmura : «Enfin ! à ce soir.»
Toutes les mesures étaient prises. La pierre remuait, à volonté, dans son encastrement. Après l'avoir ébranlée, le captif était parvenu à introduire, dessous le bloc, cinq ou six morceaux d'acier ronds, gros comme des tuyaux de plume. Son intention était de les utiliser comme rouleaux, et ils fonctionnaient très-bien. Sans grand effort, on pouvait chasser la pierre du dehors au dedans du cachot, avec le bras allongé à travers la meurtrière.
Cette pierre enlevée, Georges passait par l'ouverture qu'il avait, si laborieusement faite, se glissait le long d'une corde, au pied de la tour, et joignait Constance, à quelques pas, sous le portail de Saint-Thomas.
Ils se rendaient à sa maison, dont Georges avait une clef cousue dans la doublure de chacun de ses déguisements ; ils y prenaient deux costumes d'homme, de l'or, descendaient sur la grève par le souterrain, s'emparaient de la première barque venue et gagnaient la pointe de Dinard, où le jeune homme connaissait une retraite sûre. De là, ils se réfugieraient en Écosse, aussitôt qu'une occasion se présenterait.
Les choses étaient sagement prévues, sagement combinées. La nuit suivante n'aurait pas de lune. On était dans la saison des brouillards. Et, depuis vingt-quatre heures, une brume épaisse flottait sur la ville. Il était peu probable qu'elle se dissipât durant la journée ou la soirée prochaine.
Néanmoins, malgré toutes ces précautions, toutes ces chances favorables, le chef des Tondeurs souffrait d'une anxiété extrême.
Il était pris du fièvre. Il n'avait pas de repos. Sur sa couche, il se trouvait mal à l'aise. Debout, le pavé lui brûlait les pieds. Ses sens étaient maladivement éveillés. Il percevait les moindres sons. Ces sons, si légers qu'ils fussent, lui causaient les plus douloureux frémissements. En dépit de la pénombre, il voyait distinctement les rayures que la lime avait faites aux grilles ; les interstices,—si habilement dissimulés pourtant,—produits par le descellement de la pierre, apparaissaient à ses regards, comme de larges crevasses béantes, qui devaient fatalement sauter aux yeux de quiconque entrerait dans la prison.
Quand arriva le gardien, apportant sa maigre pitance ordinaire, Georges tremblait si fort que cet homme, saisi de compassion, proposa de lui envoyer le physicien.
On pense bien que notre captif refusa cette faveur.
—Pauvre diable ! murmura l'honnête porte-clefs en se retirant, il n'en a pas pour longtemps à vivre !
Dès que le couvre-feu eut sonné, Georges termina rapidement ses derniers préparatifs.
Le dessus de la meurtrière était formé par un lourd et long linteau, qui s'étendait fort avant, de chaque côté, dans la muraille. Dans l'entre-deux de ce linteau avec les pierres supérieures, Georges fixa sa poulie. Puis, appuyant par l'embrasure sa main droite sur la face externe du bloc, rendu mobile, il l'attira à lui. Le monolithe obéit à la traction. Quand il eut dépassé, de moitié, la paroi intérieure du mur, Georges attacha une corde dont le bout, passé dans la gorge de la poulie ; fut solidement amarré au pilier du cachot.
Notre homme alors acheva d'extraire le bloc de sa cavité ; et, défaisant le noeud de la corde, il affala doucement l'énorme pierre, à l'aide du pilier autour duquel s'enroulait deux fois la corde et dont il se servait comme d'un cabestan pour empêcher le fardeau de choir tout d'un coup.
Cette rude tâche finie, le prisonnier eut
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