Jacques Cartier
comme un sentiment d'effroi. L'air entrait à flots par une ouverture de dix pieds carrés.
Georges éteignit la bougie qu'imprudemment il avait oublié de souffler.
Bientôt le jeune homme se remit. Il empoigna la corde arrêtée à la pierre, se coula par l'ouverture et opéra sa descente, après avoir emmailloté ses mains dans des chiffons, afin de ne les pas brûler par le frottement.
Un brouillard très-dense le protégeait. Quelques minutes encore et la liberté lui sourirait dans les bras et par le visage de la plus charmante des maîtresses.
Déjà Georges avait le pied sur la planche de salut. A travers les vapeurs, il distinguait Lucas, assis, faisant le guet sur le revers du fossé, quand un cliquetis d'armes et un bruit de pas se firent entendre.
Le gourmette prit aussitôt la fuite. Georges plongea résolument dans la douve ; mais elle était peu profonde. La garde du château avait aperçu le malheureux. Malgré une résistance acharnée, il ne tarda pas à être réintégré dans la forteresse.
On l'enferma, accablé par la lutte qu'il avait soutenue, désespéré de son échec, dans une des logettes du Grand Donjon, à quelque cent pieds au-dessus du niveau de la mer.
Lucas s'était hâté de prévenir Constance ; et la pauvre fille, non moins désespérée, était remontée à sa chambre, sans avoir remarqué qu'un homme, posté dans l'ombre au coin de la maison, observait ses mouvements. Le gourmette allait à son tour remonter à la soupente où il couchait dans le grenier, lorsque cet homme le happa au passage.
—Terr i ben ! à nous deux, mon gars !
—Oh ! monsieur Jean, mon bon monsieur Jean, ne me faites pas de mal ; pour l'amour du doux Jésus, ne me faites pas de mal ! supplia Lucas tremblant d'épouvante.
—Méchant vaurien ! dit le vieux timonier d'une voix sourde ; c'est comme ça que tu trompes la confiance de ton maître... lui qui t'a généreusement recueilli...
—Je ne le ferai plus, je ne le ferai plus, monsieur Jean.
—Tais-toi et écoute bien ce que j'ai à te dire... A compter de maintenant, tu m'appartiens. Je veux que, chaque jour, tu me fasses un rapport de ce que t'ordonnera mademoiselle Constance. Si tu y manques ou si tu essaies de me tromper... je me charge de ta punition, entends-tu !... Et pas un mot, à qui que ce soit, de ce qui s'est passé ce soir, sinon !...
—Je vous jure, monsieur Jean !...
—Assez ! va te coucher !
Le gourmette ne se fit pas répéter cet ordre. En un clin d'oeil, il fut en haut de l'escalier.
Jean Morbihan le suivit, rentra doucement dans la maison, et, enfilant un long corridor, il gagna une petite pièce qu'il occupait au premier étage, derrière celle de Constance.
—Min Gieu ! il était temps ! murmura le bonhomme en fermant l'étroite croisée de cette pièce qui donnait en face de la tour Qui-Qu'en-Grogne. Par bonheur, je faisais vigilante garde ! Autrement les deux oiseaux s'envolaient ; da oui ! En ai-je passé des nuits blanches, depuis trois mois ! Sans cette fenêtre, c'était fini. La colombe filait avec le milan ; mais le père Jean n'est pas un novice. Ce n'est pas à lui qu'on en conte. Quand j'ai vu ma Constance, tantôt nuageuse comme une tempête, tantôt souriante comme un rayon de soleil, j'ai deviné qu'il y avait anguille sous roche.
Elle se levait tard, la demoiselle ! Autrefois elle était éveillée dès l'aurore ; donc, elle devait se coucher tard. Pourquoi qu'elle se couchait tard ? Ma foi ! je l'ai espionnée. Ce n'est pas un beau métier ; mais n'est-ce pas moi qui l'ai élevée ? Min Gieu, oui ! Elle-est ma fille, après tout. J'ai eu raison. En voici la preuve. Je me doutais bien que ça en arriverait là. Hier, elle était inquiète, remuante comme une poule qui a perdu ses poussins. Oh ! oh ! me suis-je dit, Jean, mon ami, faut redoubler d'attention. On veut te jouer un tour de passe-passe. Ne va pas t'endormir comme le jour où ce malheureux Yvon... Ah ! sans ma paresse, ma maudite paresse, il n'aurait pas été tué... Je ne me pardonnerai jamais sa mort, da non ! Enfin, messire l'archi-prêtre de Saint-Sauveur dit toutes les semaines une messe pour le repos de son âme ! Mais, cette Constance ! quelle endêvée !... et ce polisson de Lucas !... J'aurais peut-être du mettre, dès l'abord, un terme à leurs manigances !... Il eût été mieux d'avertir maître Jacques ! Après tout, pourquoi lui faire de la peine ? n'a-t-il pas assez de tracas ? Constance
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