Jacques Cartier
pas de réponse. La dernière lueur de force morale du misérable capitaine s'était éteinte avec la dernière lueur apparente de sa force physique.
—C'est trop ! c'est trop ! desserrez la machine, s'interposa le médecin, en versant dans la bouche du supplicié quelques gouttes d'un cordial des plus stimulants.
L'exécuteur lâcha sa manivelle. Maisonneuve reprit promptement ses sens.
—Je vous pose ma seconde question, lui dit le juge. Vous reconnaissez-vous l'auteur de l'assassinat d'un marinier à bord du brig de maître Jacques Cartier ?
—Non.
—Vous m'avez bien entendu ?
—Oui.
—Je vais faire exposer vos pieds au feu.
L'aide du bourreau saisit dans le brasier, avec des pinces, une plaque de fer rouge, et la maintint à un pouce environ de la plante des pieds de cet infortuné.
—Avouez, dit le juge.
Georges fut vaincu par l'excès de la douleur.
Il poussa un cri aigu, et s'évanouit de nouveau.
—C'est assez pour aujourd'hui, à moins que vous ne vouliez le tuer ; car c'est un luron, un vrai luron, disait complaisamment le physicien, en faisant revenir le jeune homme à lui.
Dès qu'il eut recouvré la connaissance, le greffier lui lut son procès-verbal et lui demanda s'il savait signer. Georges répondit négativement. Le scribe inscrivit cette réponse sur son dossier. Le juge et le médecin y apposèrent leur paraphe et le captif fat rapporté dans son cachot.
Son corps était rompu, brisé. Bien des jours devaient s'écouler avant qu'il pût refaire usage de ses membres. Peut-être même resterait-il estropié ; car le feu avait profondément entamé les chairs de ses pieds. Mais son esprit n'avait presque rien perdu de l'élasticité qui lui était propre. En peu de temps, il eut retrouvé sa puissante énergie.
Cependant, Georges avait fait une remarque rien moins qu'encourageante, en se rendant à la salle de la question : c'est que les gonds de la première et de la seconde porte de sa prison étaient scellés extérieurement, et, de plus, que ces deux portes s'ouvraient en dehors, au lieu de s'ouvrir en dedans, comme la troisième, de telle sorte que, si, du cachot, l'on parvenait à forcer la seconde porte, le battant retombait sur la première, dont il doublait, dès lors, les difficultés d'effraction.
Il fallait donc renoncer à une tentative d'évasion par cette voie.
Durant les longs jours qu'il passa couché sur la paille, Georges rumina bien des projets. Néanmoins, au mois de décembre il ne s'était encore arrêté à aucun.
Deux choses l'étonnaient et le contrariaient. Il n'avait point de nouvelles de sa bande, point de nouvelles de Constance. Il n'était pourtant séparé de celle-ci que par un bien court intervalle. Car il n'y avait pas cent pas de la tour Qui-Qu'en-Grogne à la maison de Jacques Cartier ! Son gardien se montrait insondable, incorruptible. De même le physicien qui lui donnait des soins.
Savoir attendre, c'est la science de la vie. Le bandit-gentilhomme savait attendre. Toutefois il craignait que, de nouveau, on ne le soumit à la torture, pour le conduire ensuite au dernier supplice. Mais, fort heureusement les autorités judiciaires étaient alors partagées en deux camps, à Saint-Malo : l'un sous les ordres de l'évêché ; l'autre sous les ordres du lieutenant du roi. La juridiction ecclésiastique, s'appuyant sur ses anciens privilèges, réclamait l'accusé ; la juridiction laïque prétendait le garder, les crimes qu'il avait commis étant, alléguait-elle, de son ressort à elle. De là une fastidieuse contestation qui pouvait fort bien traîner jusqu'à ce que le misérable qu'elle concernait s'en allât naturellement de vie à trépas.
Mais cette contestation fut profitable au chef des Tondeurs. Il lui dut d'échapper à de nouvelles tortures et, probablement, à la mort.
Vers la fin de décembre, sa guérison entrait dans une bonne voie. Ses articulations avaient repris leur flexibilité, leur jeu. Il ne souffrait plus que de ses plaies aux pieds. Elles l'empêchaient de marcher, même de se tenir debout.
On sait que c'est encore la généreuse coutume pour les dames charitables, dans beaucoup de nos villes, de faire, aux grandes fêtes chrétiennes de l'année, une sorte de pèlerinage dans les prisons et de distribuer quelques douceurs aux captifs.
A la Noël, Georges vit s'ouvrir son cachot d'une manière inusitée.
Il fut visité par une foule de personnes, qu'il connaissait pour la plupart, mais qui ne le reconnurent pas. Son
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