Jacques Cartier
encadrant un panorama toujours curieux, toujours nouveau. Ils savent combien il est agréablement diversifié ce panorama, ceux qui ont promené leurs rêveries sur le Saint-Laurent entre Québec et Montréal.
Mais, pour en saisir tout le pittoresque, toutes les féeries, c'est aux premiers jours de l'automne qu'il faut visiter cette galerie enchanteresse. L'opulente palette de Rubens n'aurait suffi à reproduire l'éclat et la variété de ses rideaux de verdure et de ses tableaux agrestes. Il y a là une profusion de couleurs inouïe. Les émeraudes les topazes, les rubis, les turquoises, les améthystes, les perles, les diamants de toute eau, de toute nuance semblent avoir été jetés, à pleines mains, sous une pluie d'or et d'argent, à la tête des végétaux grands et petits, monarques et sujets, pour leur en faire une somptueuse parure.
Et, pourtant, à ce prodigieux ensemble de couleurs multiples éblouissantes, le plus léger frémissement de la brise prête même une harmonie une douce fusion de teintes, qui n'est pas un des moindres charmes de ce spectacle ravissant. Quand le soleil mordore toutes ces richesses, on dirait d'un merveilleux cachemire de l'Inde pavoisant les deux rives du fleuve. Vous vous imagineriez que, secouant les arbres auxquels flottent ses longs plis moirés, il en tomberait une poussière de pierreries.
Cartier et ses compagnons ne se lassaient point de regarder des scènes si belles, si séduisantes. Mais ce qui captivait surtout leur attention, c'était la vigne, très-abondante, et pliant sous le poids des raisins, qui festonnait les bords du Saint-Laurent. On allait sans se presser, à petites journées, s'arrêtant à peine pour prendre langue, faire des échanges avec les indigènes. En un détroit, nommé Ochelay [M. Charton, dans ses Voyageurs anciens et modernes, et M. d'Avezac, dans son Introduction au Deuxième Voyage de Cartier (édition Tross), annoncent, d'après, disent-ils, une note de la Société historique de Québec, que cet endroit est le Richelieu. Je crois qu'il y a erreur, à moins que le nom de Richelieu n'ait été transféré d'une autre rivière à celle qui tombe dans le Saint-Laurent, au-dessus du lac Saint-Pierre. Pour moi, j'incline à penser que ce détroit, dont parle Cartier, est la pointe de Batiscan.], à quelque, vingt-cinq lieues de Sainte-Croix, un «grand seigneur du pays» vint à bord. Il présenta au capitaine deux de ses enfants, comme gage d'amitié. Cartier accepta l'un, fillette de sept à huit ans, dans l'intention de la faire instruire, et refusa l'autre, un garçon «parce qu'il estoit trop petit.»
Après avoir «festoyé ledit seigneur et sa bande,» l'on remit à la voile et bientôt, le 28, l'Émerillon arriva dans un grand lac, large d'environ cinq ou six lieues et de douze de long [Le lac Saint-Pierre. Cartier en a donné les dimensions réelles.].
Cartier jeta l'ancre et chercha un passage avec ses barques. Il trouva des sauvages qui chassaient dans les Iles. La vue des Européens, loin de les effaroucher, les attira. Ils se montrèrent bienveillants, donnèrent au capitaine des rats, «gros comme lapins, et bons à merveille ;» et celui-ci leur offrit des couteaux et patenôtres, en récompense.
Partout, cela est digne de remarque, les étrangers furent reçus cordialement. Grave sujet de réflexion pour l'observateur ! Si, bientôt, on ne les eût odieusement persécutés, les aborigènes de l'Amérique seraient-ils devenus aussi cruels qu'ils le sont aujourd'hui ? Ne m'objectez pas l'atrocité de leurs guerres, la barbarie avec laquelle ils traitaient les prisonniers, dès cette époque. Nous-mêmes, alors, n'étions guère plus humains. Sans parler de l'inquisition, le système de torture usité dans l'ancien monde envers les accusés l'emportait de beaucoup en raffinement sur celui des sauvages. Le scalpage des captifs même ne leur était pas propre. Trop aisément l'on peut prouver que nos ancêtres l'ont pratiqué.
Cartier, cependant, fit presque toujours preuve de modération et de justice dans ses rapports avec les naturels. Aussi eut-il peu à se plaindre d'eux. Ceux du lac où il avait mouillé lui indiquèrent le chemin d'Hochelaga, en lui disant qu'il «y avait encore trois journées à y aller.»
Comme les eaux étaient peu profondes et «qu'il n'estoit possible pour lors passer ledict gallyon,» on arma les barques et Cartier poursuivit sa route avec Claude de Pontbriand, Charles de la Pommeraye, Jean
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