Jacques Cartier
Guyon, Jean Poullet, Marc Jalobert, Étienne Noël, Guillaume Le Breton et vingt-huit mariniers.
Ils naviguèrent de «temps à gré.» Mais leur navigation fut longue, car nos aventuriers n'atteignirent le territoire d'Hochelaga que le samedi soir 2 octobre, treize jours après avoir quitté le havre de Sainte-Croix. La traversée n'est que de soixante lieues seulement. On la fait aujourd'hui en douze heures. Que les temps sont changés !
Une foule considérable de sauvages, dans leur costume de grande cérémonie, attendait sur le rivage.
«Ils nous feirent, dit Jacques Cartier, aussy bon accueil que jamais père feist à enfant, menant joye merveilleuse.»
Hommes, femmes, enfants, tous dansaient et chantaient à l'envi. Le premier, Étienne Noël sauta à terre, pour se justifier des reproches que son oncle lui adressait parfois à cause de sa mélancolie habituelle. Mais c'est que le pauvre garçon trouvait le voyage long, terriblement long, et que sa pensée vagabonde bien souvent le ramenait à Saint-Malo, près de la fière et fantasque Constance. Et alors les rêves, les espérances, les craintes, les soupirs !
—Bien, lui dit en souriant le capitaine ; prenons possession de cette terre au nom du roi notre maître.
Et il s'élança après Étienne Noël, avec les gentilshommes qui faisaient partie de l'expédition.
Le temps était beau à souhait. Les naturels, croyant nos navigateurs descendus, du ciel, se pressaient autour d'eux, apportant leurs enfants «à brassée,» pour les faire toucher, dans l'idée de les préserver de toute maladie ou de les rendre invulnérables.
Ils offrirent à Cartier du pain de gros oeil (maïs) et du poisson.
Il les paya en brimborions et revint coucher dans ses barques, renvoyant au lendemain dimanche son excursion au village d'Hochelaga, éloigné de deux lieues environ. Mais les sauvages passèrent la nuit à danser et à s'ébaudir autour des grands feux qu'ils avaient allumés sur la plage.
Le jour suivant maître Jacques «s'accoutra et fit mettre ses gens en ordre pour aller voir la ville de ce peuple.» Cette visite était depuis longtemps l'objet de ses ardents désirs. On lui avait fait d'Hochelaga une description pompeuse. Son attente subit sans doute d'étranges déceptions. Mais il n'eut pas moins lieu de se féliciter d'avoir entrepris cette course périlleuse.
Au point où il débarqua [Le courant Sainte-Marie.], la campagne, naturellement riche, était cultivée avec soin.
Devant les yeux se dressait superbement un mamelon, bien boisé, sous les pieds ondulaient des plaines fertiles se prolongeant à droite jusqu'aux confins de l'horizon, tandis qu'à gauche le Saint-Laurent roulait majestueusement ses ondes puissantes, au-delà desquelles, en un vague lointain, des rochers sourcilleux noyaient leur front dans l'azur céleste. L'air retentissait du gazouillement des oiseaux, et la brise chantait gaiement dans les arbres.
Peintures charmantes d'une inexprimable poésie, qui s'animait, s'incarnait de couleurs de plus en plus riantes à mesure que l'on avançait, par un bon chemin «aussi battu qu'il soit possible.»
Trois sauvages servaient de guides.
Tout de suite, et d'un commun accord, on nomma Mont-Royal la colline qui dressait en avant sa croupe arrondie, sur laquelle s'étage maintenant, en amphithéâtre, la belle cité de Montréal.
Lorsque Cartier y mit le pied, le 3 octobre 1535, ce n'était qu'Hochelaga, une pauvre bourgade, tout de bois et d'écorce, mais déjà célèbre parmi les riverains du Saint-Laurent.
L'illustre navigateur nous en a laissé une description fort détaillée.
La ville était de forme ronde, fortifiée de trois rangées du palissades. Elle n'avait qu'une porte, fermant à barres. La triple enceinte, bâtie en façon de pyramide, était haute de deux lances environ. Au-dessus circulait une sorte de galerie, approvisionnée de roches et de cailloux, et à laquelle on parvenait au moyen d'échelles.
A l'intérieur, les maisons, au nombre d'une cinquantaine, étaient disposées en ellipse. Elles mesuraient cinquante pas de long, sur douze ou quinze de large. Des pieux formaient les murailles, des écorces de bouleau le toit. Leur figure était celle d'un tunnel. Plusieurs familles vivaient dans chaque cabane. Elles y avaient leur chambre, séparée des autres par une simple cloison en peau ou en branchages. Point de porte à ces chambres, ne renfermant qu'un lit de pelleteries et des instruments de pêche, chasse et labour.
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