Jacques Cartier
se dressaient fièrement près de cette basilique ? Où l'église des Récollets avec son clocheton ouvré en dentelle ? Ou l'hôpital Saint-Thomas et ses gothiques arceaux ? Où ce vaste couvent des Bénédictins dont la chapelle, dans le style byzantin, était un chef-d'oeuvre d'architecture ? Où encore le joli moutier des religieuses du Calvaire ? Où donc enfin le palais épiscopal, qui rivalisait, disait-on, de luxe, de somptuosité avec celui de Rennes ?
De tous ces édifices, si remarquables à un titre ou à un autre, il ne reste plus à cette heure que l'église Saint-Sauveur. Encore n'a-t-elle rien conservé des admirables sculptures qui faisaient autrefois son orgueil et y attiraient la foule des visiteurs.
Mais si Saint-Malo a vu tomber en poussière tous ses vieux monuments, il en a été un peu partout de même ; et non pour le malheur de l'humanité. Si attrayant que soit le tableau rétrospectif de leurs beautés détruites, il ne doit point nous faire pleurer le passé et calomnier le présent. Notre âge vaut décidément, forcément et NATURELLEMENT mieux que ceux qui l'ont précédé : de même ses successeurs vaudront mieux que lui, car la loi du progrès nous emporte. Les arts produits délicats du sentiment contemplatif et extatique ont cédé le pas aux arts fruits de la civilisation industrielle ; l'utile a succédé à l'agréable, l'application pratique à l'application idéale. Le droit du plus grand nombre s'est imposé aux prétentions de la minorité.
Saint-Malo y a perdu peut-être ; mais combien d'autres y ont gagné !
Soyons juste et véridique, d'ailleurs : Saint-Malo possède encore, valide et menaçant, son fort château féodal, que nous aurons bientôt l'occasion de décrire, et qu'on achevait d'édifier en 1534, au moment où commence notre narration.
A cette époque, vis à vis du château, à quelques pas du pont-levis qui en garde l'entrée et «jouxte l'hospital Saint-Thomas,» dit un document du temps, devant l'hôtel de Chateaubriand, métamorphosé, hélas ! aujourd'hui en une auberge, l'Hôtel de France, on voyait une maison de bois entrecroisés et de moellons, d'un seul étage, projeté à au moins deux pieds en avant sur le rez-de-chaussée. Cette maison, vieillotte, ratatinée, péchant quelque peu contre les lois de l'équilibre, mais proprette au dehors comme au dedans, avait trois entrées : l'une, la principale, sur une petite place, ombragée d'arbres, en face du château ; les deux autres devant l'hôtel de Chateaubriand. Rien ne la distinguait de la généralité des habitations de Saint-Malo. Comme la plupart, elle était couverte en tuiles rouges, courbes, et ses portes et les volets de ses fenêtres à guillotine étaient bardés de fortes plaques de tôle, assujetties sur les panneaux au moyen de boulons en fer rivés. Seulement, l'une de ses portes de derrière s'ouvrait sur un perron, abrité par un appentis que supportaient deux colonnettes, et auquel montait un escalier en équerre, de quelques marches, muni d'une rampe en pierre pleine. Ce perron servait, pour ainsi dire, de vestibule aux appartements de l'étage supérieur.
C'est dans cette maison qu'était né Jacques Cartier ; c'est là qu'il vivait avec sa femme, Catherine Desgranches, fille de Jacques Desgranches, «connétable de la ville et cité de Saint-Malo ;» c'est à que nous le trouverons dans la soirée du dimanche 19 avril 1534.
Quoiqu'on soit au printemps, le froid est pénétrant au dehors ; il tombe une pluie fine et glaciale.
Soulevons le lourd marteau de bronze, à tête de lion, posé à la porte du rez-de-chaussée, et entrons sans façon dans cette hospitalière demeure, où l'étranger honnête est toujours sûr de trouver franc accueil.
Descendant une marche, nous voici dans une longue et large salle basse : tout y annonce le séjour habituel du marin. C'est qu'en effet, fils de marin, Jacques Cartier est marin lui-même. Si son père fut l'un des riches armateurs de Saint-Malo, Jacques a encore augmenté le patrimoine qu'il lui a laissé. Mais, fidèle aux anciennes coutumes, il ne dédaigne ni le lieu où il poussa son premier vagissement, ni les habitudes de ses aïeux. Dans cette salle enfumée, aux solives noires comme le charbon, dans cette salle dallée, où, en plein midi, le jour filtre parcimonieusement à travers des vitres verdâtres, enchâssées dans des losanges de plomb, vous remarquez des filets, des instruments de pêche, des avirons,
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