Je suis né un jour bleu
volontaire américain septuagénaire, de l’American
Peace Corps. Il aimait évoquer ses souvenirs pendant les pauses-café, me racontant
comment il avait construit sa maison aux États-Unis et le mobile-home qu’il
avait acheté avec sa femme pour visiter les cinquante États de l’Union pendant
leur retraite.
L’autre professeur du centre s’appelait
Olga, une femme russe avec des cheveux roux et bouclés, et des lunettes
teintées. Quand elle parlait, je pouvais voir ses deux dents en or à chaque
coin de sa bouche. Olga comprenait mon angoisse à l’idée de vivre dans un environnement
complètement différent et m’expliqua qu’il était normal d’éprouver le mal du
pays ou de me sentir nerveux au moment de commencer quelque chose de nouveau. J’appréciais
beaucoup ses bonnes paroles.
Mon rôle de volontaire prenait tout son
sens dans la salle de classe. Le centre fournissait quelques cahiers et
quelques feuilles de papier, mais les autres ressources étaient réduites et je pouvais
organiser mon cours comme je l’entendais, ce qui me convenait très bien. Les
femmes qui assistaient à mon cours étaient d’âges, d’origines et d’éducations
différentes, et jamais plus de douze, ce qui signifiait que les étudiantes se
connaissaient toutes très bien et que l’atmosphère était toujours détendue et
amicale. Au début, je fus très nerveux à l’idée d’être face à mes élèves et de
diriger la classe, mais tout le monde fut très gentil et très positif. Je
devins bientôt de plus en plus sûr de moi dans mon nouveau rôle.
C’est pendant ces cours que je rencontrai
une personne qui allait devenir l’une de mes amies les plus proches, une femme
entre deux âges, Birute. Elle avait travaillé comme traductrice et son anglais
était déjà bon, mais elle manquait de confiance en elle et avait choisi ce
cours pour s’entraîner. Après la classe, elle venait me parler et me demander
comment je trouvais la vie en Lituanie. Un jour, elle me demanda si je voulais
un guide pour me faire visiter les alentours. Jusque-là j’avais été trop angoissé
à l’idée de m’aventurer seul dans les rues et j’acceptai avec reconnaissance.
Nous remontâmes la grande rue piétonne de
Kaunas, Laisves Aleja (avenue de la Liberté), longue de 1621 mètres, dans
le centre-ville. À une extrémité de l’avenue, l’église Saint-Michel, une
construction surmontée par un grand dôme bleu, avec des colonnes blanches qui
brillaient et luisaient au soleil. L’église avait été une galerie d’art pendant
la période soviétique et n’avait été rendue aux fidèles qu’à l’indépendance du
pays. À l’autre bout de l’avenue, Birute me montra la vieille ville de Kaunas
avec ses rues pavées et son château de briques rouges, la première forteresse
du pays, qui datait du XIII e siècle.
Chaque jour, aux environs de midi, après
le cours du matin, Birute m’attendait et nous allions déjeuner ensemble dans
une cantine locale. Des rituels comme celui-ci m’aidèrent à me sentir chez moi
dans ma nouvelle vie, en donnant à chaque journée une forme solide et
prévisible qui me rendait heureux. La cantine était en sous-sol, mal éclairée
et à moitié remplie. La nourriture était abondante et ne coûtait rien, incluant
beaucoup de plats traditionnels lituaniens, comme la soupe de betterave à la
crème avec des petits pâtés à la viande. Mes habitudes alimentaires avaient
beaucoup changé depuis l’enfance et désormais j’aimais des choses très
différentes. Quand il n’y avait pas de cours l’après-midi, nous nous rendions
dans un restaurant de la Laisves Aleja. Mon plat favori était le plat
national lituanien, le Cepelinai ainsi appelé à cause de sa ressemblance
avec un Zeppelin. Il s’agissait de pommes de terre râpées et de morceaux de
viande bouillie servis avec de la crème caillée.
Mon amitié pour Birute s’approfondit avec
le temps. Elle montrait toujours une grande patience et beaucoup de
compréhension. Elle m’écoutait et me donnait des conseils et des encouragements.
Je ne sais pas comment j’aurais survécu en Lituanie sans elle. Quand quelques
femmes du centre me dirent qu’elles avaient besoin de plus de cours mais qu’elles
ne pouvaient pas se les payer, j’eus l’idée d’organiser chez moi une séance de
conversation hebdomadaire que Birute m’aida à organiser. Les femmes apportaient
des petits gâteaux et nous préparions le thé et le
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