Je suis né un jour bleu
au
centre, je demandais à Birute ce qu’il en était. « C’est un tarakonas », dit-elle en cherchant pendant quelques instants la traduction anglaise :
« Un cafard. » Les insectes – comme je l’appris bientôt –
sont un problème récurrent dans beaucoup d’immeubles anciens en Lituanie. Jonas
était désolé et promit de s’en occuper. Cependant, tout l’immeuble était
infesté et, comme mes voisins étaient des personnes âgées, cela prendrait du
temps. En attendant, Jonas me donna un vaporisateur. Je n’aimais pas trop les
cafards, même si je les trouvais amusants quand j’en voyais un qui tentait d’écouter
une conversation ou de regarder la télévision. Quand j’évoquai le problème avec
mes parents au cours de l’un de mes comptes rendus réguliers, ils furent
mécontents et je dus les rassurer quant à la propreté irréprochable de mon
appartement, à ma santé et à la célérité avec laquelle mon propriétaire allait
traiter le problème. Il fallut plusieurs semaines à Jonas pour que l’immeuble
soit entièrement traité – et même après cela, les cafards persistèrent, ponctuellement,
réapparaissant de temps en temps.
L’hiver s’installa inexorablement dans
les mois qui suivirent, avec ses importantes chutes de neige et un froid rude
dans tout le pays. Les températures tombaient la nuit à -30° à Kaunas. Mon
appartement n’étant pas situé dans un immeuble moderne, s’avéra médiocrement
isolé et difficile à chauffer. J’empruntai un radiateur à l’un des travailleurs
volontaires du centre qui venait d’en acheter un neuf et qui était content de
me le céder. Je l’installais dans le salon quand je regardais la télévision ou
que je lisais, puis, le soir, je le déplaçais dans la chambre pour dormir. Après
une intervention de Birute à qui j’avais expliqué mes problèmes, Jonas colla
des isolants autour de la porte et des fenêtres. À l’exception de ce froid sévère,
j’adorais l’hiver : la sensation craquante de s’enfoncer dans plusieurs
centimètres de neige fraîche sur le chemin du centre, et cette vision d’un
blanc brillant tout autour de moi. La nuit, j’enfilais parfois mon manteau et
mes bottes pour aller marcher dans les rues silencieuses pendant que les
flocons de neige tourbillonnaient autour de ma tête. Je m’arrêtais sous un
réverbère allumé, jetais ma tête en arrière, écartais les bras et me mettais à
tourner, et tourner encore, sur moi-même.
En décembre, alors que Noël approchait, les
femmes du centre me demandèrent quelles étaient mes intentions pour les fêtes. Je
réalisai que ce serait mon premier Noël loin de ma famille et que ce serait un
moment particulier à partager avec les autres. L’une de mes collègues du centre,
Audrone, insista pour que j’aille passer les fêtes avec elle et sa famille. En
Lituanie, le soir de Noël est plus important que le jour de Noël, et sa préparation
nécessite des heures de travail. La maison est nettoyée, chacun se lave et s’habille
de frais avant le repas du soir. Audrone et son mari vinrent me chercher en
voiture. En arrivant, je remarquai que le mari d’Audrone était
exceptionnellement grand – près de deux mètres. Il me rappelait le
chiffre 9.
Je rencontrai le fils d’Audrone et sa
mère. Tout le monde me souriait et semblait content de me rencontrer. Le
couloir qui menait au salon était sombre, long et étroit, mais en sortant de
cet obscur tunnel, je fus soudain assailli par des couleurs et des lumières brillantes.
Une grande table au centre de la pièce était recouverte d’une nappe douce avec
des brins de paille en dessous. On m’expliqua que c’était pour nous rappeler
que Jésus était né dans une étable et que son berceau était garni de foin. Il y
avait douze plats sans viande sur la table (leur nombre correspondait aux douze
apôtres), dont du hareng salé, du poisson, une salade de légumes d’hiver, des
pommes de terre bouillies, du chou, du pain, du gâteau aux airelles et du lait
aux graines de pavot. Avant le repas, le mari d’Audrone donna à chacun, y
compris moi, une gaufrette de Noël. Il offrit alors sa gaufrette à Audrone qui
en prit un morceau avant de la faire passer et de donner la sienne à son mari. Nous
fîmes tous de même jusqu’à ce que chacun ait un morceau de la gaufrette des
autres. Il n’y avait pas d’ordre particulier dans la succession des plats, mais
on m’expliqua qu’il était
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