Je suis né un jour bleu
de me perdre
franchement. Par bonheur, je trouvai un taxi vide dans lequel je montai et
donnai l’adresse au chauffeur. Il me conduisit en quelques instants devant un
grand immeuble rouge et blanc entouré d’arbres, comme parsemé de fenêtres, avec
une plaque qui annonçait : « Harborne Hall — Centre de conférences
et de formation ». À l’intérieur, on me donna un prospectus qui relatait l’histoire
du lieu, un ancien couvent du XVIII e siècle. L’entrée était sombre, avec
des piliers de bois brun, des fauteuils de cuir marron foncé et un escalier et
une rampe en bois, en face de l’accueil. On me donna un badge avec mon nom
– que je ne devais pas retirer pendant mon séjour au centre. C’était à la
fois une clef, le numéro de ma chambre et le programme de formation de la
semaine.
À l’étage, ma chambre était lumineuse et
fraîche. Il y avait un petit lavabo dans le coin de la pièce, mais les
toilettes et les douches étaient situées de l’autre côté du bâtiment. La pensée
de devoir utiliser des sanitaires communs m’était très déplaisante et je me
levai toute la semaine très tôt pour être sûr de pouvoir entrer et sortir de la
salle de bain avant que quiconque ne soit levé.
Le premier jour, j’appris que l’on m’avait
attribué une classe d’anglais en Lituanie. Je connaissais le pays de nom, comme
sa capitale : Vilnius. On me donna des livres et des brochures pour que je
puisse en savoir plus sur le pays et ses habitants. Ensuite, une séance de
rencontre était organisée, avec une douzaine d’autres jeunes gens qui allaient
aussi être envoyés dans différents postes en Europe de l’Est. Nous nous assîmes
en cercle : nous avions chacun une minute pour nous présenter. J’étais
très nerveux et je ne pensais qu’à ne pas oublier de regarder les gens dans les
yeux en disant mon nom et le pays où j’allais. Parmi les autres volontaires
dont je fis la connaissance, il y avait un Irlandais aux longs cheveux bouclés
qui allait en Russie. Également une jeune femme qui avait eu un poste pour s’occuper
d’enfants en Hongrie.
Il y avait de longues périodes creuses où
nous n’avions rien à faire. Les volontaires en profitaient pour socialiser dans
la salle de jeux, parler et jouer au billard. Je préférais rester dans ma
chambre et lire, ou aller dans la salle de documentation pleine de livres et de
cartes pour étudier en paix. Pendant les pauses-repas, je me précipitais pour
être le premier à table et manger le plus vite possible afin d’éviter que des
gens s’installent à côté de moi. À la fin de chaque jour, je m’asseyais tout
seul sur l’herbe des jardins cloîtrés, à l’extérieur de Harborne Hall, je regardais
les arbres qui tenaient bon dans la chaleur, dressés dans les couleurs
évanescentes du ciel du soir. Je m’absorbais dans mes pensées et dans mes
sentiments. J’éprouvais de l’angoisse, bien sûr, à l’idée de ce voyage. Je me demandais
également si j’allais ou non donner satisfaction, à ce poste. Mais il y avait
autre chose aussi : l’excitation de prendre finalement en charge ma vie et
mon destin. Cette pensée-là me coupait le souffle.
~
La formation comportait trois parties
dont la première, consacrée au travail d’équipe, était destinée à susciter
coopération et participation. Les volontaires étaient répartis en petits
groupes. Ils devaient concevoir un système pour retirer des balles en plastique
de couleur d’une boîte -chaque équipe avait la sienne – selon des
enchaînements particuliers. Quand on me donnait des instructions simples et
claires, je réussissais bien et j’étais plutôt heureux de faire ma part de
travail. Des exercices comme celui-là pouvaient parfois durer quelques heures
et le plus grand défi pour moi était de rester concentré.
On avait également organisé des groupes
de discussion sur les valeurs et les pratiques culturelles qui étaient censées
stimuler le débat entre nous, promouvoir la tolérance et battre en brèche les
préjugés. Après avoir vu tous ensemble un film sur les différentes traditions
alimentaires dans le monde, l’instructeur demanda au groupe son sentiment sur l’habitude
qui consiste à noyer ses aliments dans la graisse animale, de manière systématique.
Beaucoup des volontaires firent la grimace en disant que cela semblait
dégoûtant. Réalisant qu’il s’agissait probablement de beurre (c’est
effectivement à
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