Je suis né un jour bleu
encore dans les bras l’un de l’autre. Le lendemain, Neil
reçut un coup de téléphone qui lui apprit que Jay était morte. Il y eut encore
beaucoup de larmes les jours suivants, à la mesure du choc de perdre de manière
si soudaine et si inattendue une compagne que nous aimions profondément. Elle
fut incinérée et nous enterrâmes ses cendres dans le jardin sous une pierre
gravée à sa mémoire : « Jay, 1999-2004. Toujours dans nos cœurs ».
~
Aucune relation n’est facile, et moins
encore si l’une des deux personnes, ou les deux, est touchée par une forme d’autisme.
Et pourtant, je crois que le plus essentiel à la réussite d’une relation, ce n’est
pas tant la compatibilité des humeurs que l’amour. Quand vous aimez quelqu’un, tout
est possible.
À la maison, il y a des situations
apparemment futiles, comme quand je lâche une cuillère en faisant la vaisselle,
qui provoquent chez moi des crises de colère. Même une toute petite perte de
contrôle peut sembler trop importante pour moi, en particulier si elle affecte
l’un de mes rituels. Neil a appris à ne pas intervenir et à laisser passer, car
en général cela ne dure pas. Sa patience m’aide beaucoup. Grâce à son soutien et
à sa compréhension, de telles crises sont devenues moins fréquentes avec le
temps.
D’autres situations peuvent générer de
grandes angoisses, comme quand un ami ou un voisin décide soudain, spontanément,
de venir nous rendre visite. Même si je suis content de le voir, je sais que je
suis en train de me tendre et de me troubler, parce que cela veut dire que je
dois changer le programme que j’avais établi pour la journée. Devoir changer
mes plans est une chose très déstabilisante pour moi. Une fois encore, Neil me
rassure et m’aide à rester calme.
La vie en société peut être un grand
problème pour moi. Si nous allons dîner au restaurant, je préfère une table
dans un coin ou contre un mur, de sorte que les autres clients ne soient pas
tout autour de moi. Au cours d’un dîner dans un restaurant du quartier, nous
étions en train de parler et de manger joyeusement quand j’ai soudain senti l’odeur
d’une cigarette. Je ne pouvais pas voir qui fumait, je ne l’avais pas anticipé
et je devins très nerveux. Neil sait quand cela m’arrive parce qu’il l’a déjà
vu de nombreuses fois : je baisse la tête, je ne le regarde plus et je ne
réponds plus que par monosyllabes. Il n’y a rien à faire sinon finir rapidement
le repas et quitter le restaurant. J’ai de la chance que nous aimions tous les
deux rester à la maison et que nous n’ayons pas besoin de beaucoup sortir. Quand
nous sortons, c’est généralement pour aller au cinéma ou dans un restaurant tranquille.
Les conversations sont parfois
problématiques entre Neil et moi à cause de mes difficultés d’écoute. Neil peut
ainsi me dire quelque chose à quoi j’opine ou dis oui, ou OK. Mais plus tard, je
m’aperçois que je n’ai pas compris ce qu’il m’avait dit. Cela peut être très
frustrant pour lui de passer du temps à expliquer ou à raconter quelque chose
et de découvrir après coup que je ne l’ai pas écouté. Le problème est que je n’ai
pas conscience de ne pas l’écouter. Très souvent, j’entends les phrases par fragments ;
mon cerveau les complète et les remet ensemble pour leur donner du sens. Quand
je rate les mots les plus importants, je ne saisis souvent pas le contenu réel
de la conversation. Opiner et répondre par « OK » quand quelqu’un me
parle est devenu pour moi, avec le temps, une façon de permettre à une
conversation d’être fluide, sans que mon interlocuteur ait besoin de s’arrêter
et de répéter continuellement. Bien que cette tactique fonctionne la plupart du
temps, j’ai appris qu’à l’intérieur d’une relation, ce n’était pas très adapté.
Neil et moi, nous avons donc appris la persévérance quand nous parlons ensemble :
je lui donne ma plus complète attention quand je l’écoute et je lui fais comprendre
quand il y a un mot ou plusieurs qui ont besoin d’être répétés. De cette façon,
nous pouvons chacun être sûr de comprendre pleinement l’autre.
~
Quand j’étais adolescent, je détestais me
raser. Les lames glissaient sur mon visage et me coupaient pendant que j’essayais
désespérément de tenir le rasoir fermement et ma tête tranquille. J’avais
souvent besoin de plus d’une heure pour cette opération, après
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