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Jean sans peur

Jean sans peur

Titel: Jean sans peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Zévaco
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puisque vous le savez !
    – Je le sais parce que vous me l’avez dit. Vous êtes venue, madame, me proposer d’assassiner Odette de Champdivers parce que vous n’osez pas la tuer vous-même. Contre le meurtre de celle à qui j’ai donné mon cœur, à qui je rêve de donner mon sang, vous m’eussiez promis de m’associer à votre gloire, et vous m’eussiez ébloui de votre amour. Regardez-moi, madame. Je ne suis qu’un pauvre hère, comparé à vous. Je n’ai rien au monde, pas même ma maison. Je suis prisonnier dans ce cachot d’où je ne sortirai que pour m’entendre condamner au supplice des régicides. Eh bien, voici ma réponse : j’aime mieux mourir que de vous suivre. Si une pensée mauvaise s’élevait dans mon cœur contre celle que vous haïssez, vous, et que j’aime, moi, je m’arracherais le cœur. J’aime mieux l’étreinte du bourreau que la vôtre. Êtes-vous contente ? Si non, parlez, et j’ai d’autres réponses à vous fournir. Si oui, allez-vous-en et laissez-moi mourir en paix !
    Sur ces mots, le chevalier de Passavant se tourna et alla s’accoter dans son angle obscur.
    Hagarde, ivre de rage et peut-être d’amour, Isabeau marcha sur lui et, doucement, lui mit sa main sur l’épaule. Il tressaillit et, sans se retourner, gronda :
    – Que voulez-vous encore ?
    – Vous dire adieu, dit la reine. Vous ne savez peut-être pas ce qu’il y a dans cet adieu. Vous le saurez avant peu… avant trois jours. L’exécuteur des hautes œuvres vous le dira !
    Il fit un bref signe de tête et s’immobilisa.
    Elle recula lentement. Au milieu du cachot, elle comprit qu’elle allait éclater en sanglots, et que ce serait là la fin de tout ce qu’il y avait d’orgueil en elle. Un instant, elle eut un mouvement comme pour revenir sur Passavant, puis, d’un pas rapide, elle s’éloigna.
    Le geôlier, devant elle, ferma la porte, et il l’escorta jusqu’au haut de l’escalier. Au grand air, la reine se calma. Pendant quelques minutes, elle demeura immobile au pied de la tour, noyée dans l’ombre, songeant à des choses qu’elle-même ne pouvait éclaircir. Enfin, elle redressa la tête :
    – Toutes précautions sont-elles prises ? demanda-t-elle froidement.
    – Quelles précautions ? demanda le geôlier étonné.
    – Le prisonnier peut-il s’évader ?…
    – S’évader ?… Non, madame. Il faudrait pour cela que la vieille tour fût renversée par quelque tempête, et encore le prisonnier serait-il enseveli sous ses décombres. Ou bien, il faudrait encore que moi-même lui ouvrant la porte, je le prenne par la main, et lui dise : Allez, vos malheurs sont finis ! Mais ceci est impossible, madame.
    – Oui, dit Isabeau, c’est impossible. Quoi qu’il en soit, songe que si cet homme parvient à sortir de son cachot…
    – Je serai pendu, je le sais !
    – Non pas ! dit la reine. Tu subirais le supplice qui lui était réservé : celui des régicides.
    Le geôlier pâlit. Déjà Isabeau s’en allait. Lentement, au fond des jardins pleins de neige, sa silhouette se fondit et finit par s’effacer.
    – Le supplice des régicides ! gronda le geôlier. Diable ! La langue arrachée, le poignet droit coupé, la mort à petit feu sur un brasier… Diable !… Qui donc oserait affronter une telle mort ?
    Isabeau regagna son palais, et rentra par une petite porte secrète devant laquelle il n’y avait pas de gardes. Sa colère était tombée. Elle se sentait seulement une grande lassitude. Elle fit appeler ses demoiselles d’honneur et s’entretint avec elles une partie de la nuit sans qu’à aucun moment, on pût la voir troublée.
    En réalité, elle avait peur de se retrouver seule…
    Le moment arriva pourtant où il lui fallut affronter la solitude, et alors, elle subit la crise contre laquelle depuis sa sortie de la Huidelonne, elle se débattait. Ce fut terrible. L’aube d’hiver la surprit frissonnante, abattue, prostrée sur ses coussins.
    Toute cette journée, toute la nuit qui suivit, elle les passa encore seule, tantôt furieuse, tantôt sanglotante, quelquefois en proie à de sinistres accalmies et à d’autres moments déchaînée en des accès de délire.
    Enfin, au bout de deux jours seulement, Isabeau se retrouva forte, impitoyable, prête à l’acte.
    Elle se disait : Si Jean sans Peur est là et qu’il la veuille défendre, il y aura deux cadavres au lieu d’un… En ce troisième jour, c’était là sa seule pensée.

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