Jean sans peur
empressées à la servir.
Isabeau passa la journée seule dans le fond de son appartement.
Toutes ses pensées, tous ses frissons de rage, toutes ses attitudes de fureur, tous ses abattements succédant aux crises, tout en elle aboutissait à la même volonté :
– Il faut que je tue cette fille !
Sur le soir, Isabeau avait reconquis son calme habituel. Comme d’habitude, elle tint sa cour, et parut plus charmante avec ses yeux fiévreux, sa parole volubile, ses gestes las. Vers dix heures, elle se trouva seule, et bientôt tout parut dormir dans le palais.
C’est à ce moment qu’Isabeau, s’étant enveloppée d’un grand manteau, descendit le grand escalier, franchit les cours et les jardins déserts de l’Hôtel Saint-Pol, et arriva à la tour Huidelonne. Elle appela le geôlier, et, étant entrée, commença à descendre l’escalier des souterrains.
Le geôlier l’escortait, portant une torche. Sur l’ordre de la reine, il s’était muni des clefs des cachots.
– Où est-ce ? demanda Isabeau quand ils furent au premier étage.
– Plus bas, Majesté, répondit le geôlier.
Elle n’avait nullement dit ce qu’elle venait faire, ni qui elle voulait voir. Mais le geôlier ne s’y trompait pas. La reine, pour un motif qui lui échappait, voulait entrer dans le cachot de l’un des cinq ou six prisonniers d’État qui étaient enfermés là. Au moment de s’engager dans la nouvelle descente, Isabeau recula et frissonna.
– Comment peut-on vivre là ? murmura-t-elle.
– On n’y vit pas, Majesté, on y meurt. Ce n’est qu’une question de jours. Tenez, reine, voici un cachot où je n’ai vu personne rester plus de quatre mois.
– Qui est enfermé dans cette tombe ?
– Le sire de Passavant, répondit le geôlier d’une voix calme. Ce cachot a été spécialement choisi par messires de Scas et d’Ocquetonville. Mais je doute que le pauvre diable y demeure quatre mois…
Le geôlier avait prononcé ces mots d’une voix si bizarre que la reine tressaillit.
– Et pourquoi ? dit-elle d’un accent qu’elle fit indifférent. Serait-il moins capable qu’un autre de supporter la prison ?
– Je ne veux pas dire cela, Majesté. Seulement, il paraît que le prisonnier sera jugé et sans doute livré à l’exécuteur avant huit jours, ce qui abrégera son agonie. Ma foi, j’en suis content pour lui…
– Ouvre cette porte ! dit la reine d’une voix sèche.
Le geôlier s’inclina profondément.
– Majesté, dit-il avec humilité, la reine n’ignore pas sans doute que, sans un ordre signé du roi lui-même…
– Voici l’ordre !…
– La reine me pardonnera… C’est que je ne tiens pas à être pendu, moi !…
Et il introduisit la clef dans l’énorme serrure. À ce moment, la reine le toucha au bras, et d’un ton étrange :
– Tu ne tiens pas à être pendu ?
– Si peu que soit ma vie, j’y tiens, Majesté.
– Qu’as-tu fait du corps de Bois-Redon ?
Le geôlier se redressa d’un, sursaut. Mais reprenant aussitôt son sang-froid :
– J’avais la faiblesse d’aimer ce malheureux capitaine… La reine me pardonnera ?…
– Oui, parle sans crainte.
– Eh bien, j’ai voulu éviter au sire de Bois-Redon le désagrément réservé aux pendus…
– Le désagrément ?…
– Les corbeaux, dit le geôlier.
– Ah ! fit la reine en frissonnant. Et alors ?
– Alors, je l’ai décroché, j’ai creusé un trou au pied de la Huidelonne, et l’y ai enterré. Ensuite de quoi, à défaut d’un plus saint ou plus savant que moi, je lui ai octroyé une bonne prière.
La reine demeura quelques minutes pensive. Puis enfin, avec un étrange sourire :
– L’histoire que tu me racontes ne ressemble pas à celle que m’a dite Saïtano. Sais-tu bien, mon brave, que tu as mérité la corde ? Allons, c’est bien, ne tremble pas, je te pardonne, et d’avoir essayé de me tromper, et d’avoir livré au sorcier le corps de mon capitaine. Seulement, je compte sur ta reconnaissance. Allons, ouvre.
Le geôlier se hâta d’obéir, et à la lueur de la torche, la reine vit Passavant debout, accoté fort paisiblement à un angle de son cachot. Le chevalier, de son côté, reconnut Isabeau. Il s’avança vivement, saisit la torche des mains du geôlier, et la levant comme pour faire honneur à sa visiteuse :
– Merci, madame, dit-il, merci de la faveur grande que je reçois en ce moment.
Puis il planta la torche sur un
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