Jean sans peur
continuer son bavardage qui lui parvenait comme de loin et dont il saisissait parfois quelques bribes. Il apprit ainsi que le chevalier de Passavant était condamné, que le procès, grâce à l’activité de Jean sans Peur, avait été rapidement instruit dans le plus grand secret, et que tout allait se terminer par une bonne exécution, malgré l’étrange incident dont tout Paris s’était occupé dans la matinée.
– Quoi donc ? demanda Tanneguy, qui parut alors reprendre intérêt à l’entretien.
– Eh bien ! ce matin, quand on a été chercher maître Capeluche, on l’a trouvé mourant dans son lit, par une mauvaise fièvre qu’il a, paraît-il, gagnée cette nuit même. Heureusement, Capeluche a désigné un de ses garçons comme très capable de le remplacer. C’est ce maigre efflanqué que vous voyez se démener sur l’échafaud.
Tanneguy fit signe au bourgeois qu’il en savait assez. Il s’avança de quelques pas, dans la direction de l’échafaud, et se trouva enveloppé de toutes parts, pris dans cette foule d’où montait un vaste murmure indistinct. Ce qu’éprouvait Tanneguy à ce moment, c’était de la rage. Il s’accusait de stupide confiance envers le sorcier.
– C’est clair. L’infernal suppôt m’a tenu trois jours éloigné de tout. En sorte que je n’ai rien su de ce qui se passait et n’ai rien pu tenter pour le pauvre chevalier.
Le capitaine forma aussitôt le projet de se rendre à l’instant dans la Cité, de pénétrer de gré ou de force dans le logis et d’étrangler Saïtano.
Mais une sorte de maladive curiosité l’arrêtait. Il éprouvait une insurmontable horreur à la pensée d’assister au supplice de son ami, et il lui sembla en même temps qu’il n’aurait jamais le courage de s’éloigner. Tout en se livrant à ces sombres pensées, tout en combinant des projets de vengeance contre Saïtano et Jean sans Peur, il avançait peu à peu, de sorte qu’il se trouva bientôt au premier rang de la foule.
Il n’était plus séparé de l’échafaud que par une barrière d’archers du guet.
Tanneguy du Chatel voulut alors reculer, fuir ; la vue du vaste échafaudage tendu de noir lui faisait mal, et les chants des moines, qui à ce moment même entonnaient une funèbre complainte, lui soulevaient le cœur – et pourtant Dieu sait si le cœur du capitaine était peu facile à émouvoir. Tanneguy voulut donc s’en aller et courir chez Saïtano pour lui faire payer sa trahison le plus cher possible. Mais il demeura sur place, tout raidi par l’horreur : midi sonnait à ce même moment, et c’était l’arrivée du condamné que saluaient les chants des moines ! En même temps, une clameur montait de la foule : Le voici ! Le voici !…
Tanneguy regarda au loin dans toutes les directions : il eut beau écarquiller les yeux, il ne vit pas arriver le condamné. Mais, certain que le malheureux chevalier allait, dans quelques instants, être traîné sur l’échafaud, toute sa pitié, toute son horreur, toute son amitié firent explosion en une crise de fureur, et Tanneguy se cria :
– Eh bien, non ! Moi vivant, il ne sera pas exécuté. Je mourrai avec lui, ou le délivrerai !
Vers le moment où Tanneguy du Chatel, dans la matinée, avait commencé à s’émouvoir des cris de ces bandes qui passaient sous les fenêtres de son logis, Saïtano pénétrait chez Ermine Valencienne. Il est nécessaire que nous suivions le sorcier depuis le soir où il avait reçu la visite de Tanneguy et appris ainsi l’arrestation du chevalier de Passavant.
Après le départ du capitaine, Saïtano demeura longtemps pensif, se demandant peut-être s’il y avait pour lui intérêt à tenter de sauver Passavant.
– Il était ma vengeance, murmura-t-il, à un moment. C’est lui qui devait frapper Jean sans Peur. Le voici aux mains d’Isabeau qui ne lui pardonnera pas d’aimer Odette de Champdivers, aux mains du terrible duc qui ne lui pardonnera pas de connaître le meurtrier d’Orléans. Ce jeune homme est perdu. Tout essai sera vain. Et pourtant… oui… ceci, peut-être !…
Le lendemain matin, Saïtano se rendit à l’Hôtel Saint-Pol où il resta plusieurs heures.
Quand il en sortit, il avait acquis la certitude que rien ne pouvait sauver Passavant. Il avait cependant une idée que nous allons voir se développer.
Rentré dans son logis, il alla ouvrir l’armoire de fer et, dans l’armoire, ce coffre où il cachait ses richesses.
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