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Jean sans peur

Jean sans peur

Titel: Jean sans peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Zévaco
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rasade, et d’une voix sombre :
    – Oui. Nous avons tué, c’est vrai, mais dague contre dague, en risquant notre peau. Et puis, les gens contre lesquels nous avons bataillé, nous ne les connaissions pas. Nous savions seulement que c’étaient des ennemis du maître qui nous habille, nous loge, nous nourrit, nous fournit les écus dont nous avons besoin. Mort-dieu, quand à nous trois nous attaquions un seigneur escorté de ses valets d’armes, quand je voyais luire les épées, quand je voyais qu’il y allait de ma vie, je n’avais pas honte, non, de me ruer, le fer au poing, sur celui qu’il fallait abattre. Je porte plus d’une blessure. C’est la guerre. Mais ce pauvre roi qui a mis en nous sa confiance, que nous allons égorger comme un mouton… cela me crève le cœur. Il sera assis dans son grand fauteuil. Il me dira : « Venez ça, révérend Brancaillon, faites-moi rire ! » Et moi je lui plongerai ceci dans la poitrine ? Non ! Qu’un autre le fasse. Moi, je ne peux pas !
    Et Brancaillon, saisissant sa dague, jeta un regard sanglant sur ses deux compagnons. D’un étrange accent, il ajouta :
    – Et même, je ne dis pas… que je vous laisserais faire !
    Bruscaille et Bragaille se regardèrent ; leurs physionomies se firent terribles. Bragaille, d’une voix douce et féroce, prononça :
    – Ah ! voici qui arrangerait bien des choses. Si Brancaillon se met devant le roi, nous serons forcés de le tuer, lui aussi, et ce sera justement la bataille dont il parlait…
    – Eh bien, bataille, donc ! dit Brancaillon d’une voix basse et terrible. Je ne veux pas, moi, qu’on touche au roi ! Malheur à celui…
    – Malheur ? dit Bragaille.
    En un instant, ils eurent jeté bas le froc et se trouvèrent l’un devant l’autre, la dague levée. La collision était imminente. Bruscaille se jeta d’un bond entre eux, les repoussa rudement, et gronda :
    – Bas les fers ! Écoutez-moi. Nous ne pouvons rien contre ce qui est, entendez-vous ? Le roi est condamné, il va mourir. Je frapperai, moi. Laissez faire. Brancaillon, tu fermeras les yeux, voilà tout. Ou bien, alors, c’est que, pour sauver ce fou, pour prolonger sa vie de quelques minutes seulement, tu nous condamneras à mort, tous les trois. Suppose que nous refusions d’exécuter l’ordre… nous serons aussitôt remplacés, le roi périra, et nous, imbéciles, nous serons roués vifs. Inutile de résister !
    Frappé par ce raisonnement, Brancaillon rengaina sa dague.
    – Eh bien, dit-il, en ce cas, nous devons fuir. Nous sommes assez riches pour nous passer désormais de Jean sans Peur. Partons. Si le roi meurt, au moins ne l’aurai-je pas sur la conscience.
    – Fuir ! s’écria Bruscaille en haussant les épaules. J’y ai pensé avant toi. Car moi-même, ce n’est pas sans remords que je donnerai le coup mortel à… celui qui est condamné. Mais la fuite même nous est défendue. Savez-vous qui commande dans le palais du roi depuis une heure ? C’est Ocquetonville. Les gardes de Charles sont remplacés par des gens de Bourgogne. En réalité, le roi de France est prisonnier. Rien ne peut le sauver, – ni nous sauver.
    Bragaille frémit. Brancaillon lui-même baissa la tête et murmura :
    – Pauvre roi !…
    Le petit œil gris de Bruscaille étincela : ces mots de Brancaillon, c’était la liberté d’agir.
    – Bon ! dit-il. Nous n’avons plus qu’à attendre le coup de midi… Courage, compagnons ! Ce sera notre dernier fait d’armes. Demain, riches de ce qu’on nous a donné ici, riches de ce que nous donnera le duc… quoi ? qu’y a-t-il encore ?
    Brancaillon levait la main. Et, le visage décomposé, il murmurait :
    – Il y a qu’il me vient une idée… Moi qui ne comprends rien à ce qui se passe ici, je viens du moins de comprendre que nous sommes perdus, même si nous frappons le roi… surtout si nous le frappons !
    Bragaille et Bruscaille ne dirent rien, mais leurs yeux parlaient pour eux. Brancaillon continua :
    – Que la malédiction soit sur Jean de Bourgogne ! Ce qu’il a inventé est horrible. Puisque ses gens occupent le palais, puisque c’est Ocquetonville qui commande ici, pourquoi le roi Charles n’est-il pas tout simplement saisi et enfermé, ou même mis à mort par les Bourguignons ? Voyons, répondez ?
    C’était si simple, si clair, d’une si implacable logique que Bruscaille et Bragaille ne trouvèrent aucune réponse à cette question

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