Jean sans peur
gronda :
– Par l’enfer, tout ceci n’est que trop vrai. Eh bien, je me ferai tuer en essayant de délivrer mon jeune ami, voilà tout. Au moins, il saura…
– Il ne saura rien, dit Saïtano. Il ne profitera pas de votre généreuse ardeur. Et vous, mon digne capitaine, vous aurez succombé dans une bagarre sans gloire, et votre mort sera inutile.
– Que faire, alors, que faire ? hurla Tanneguy.
– Vous tenir tranquille jusqu’au moment où je vous enverrai chercher. Je ne vous demande pas si vous êtes capable de donner au moment voulu votre vie pour votre ami. Avec le caractère que je vous vois, vous vous ferez tuer. Mais il faut que votre mort soit utile. Voici donc ce que je vous demande : êtes-vous capable d’attendre patiemment que jevous appelle ?
– Que ferai-je pendant ce temps ?
Le brave Tanneguy grondait. Mais Saïtano, avec son air paisible, s’était, du premier coup, imposé à lui. Vaguement, le rude homme d’armes pressentait qu’il y a peut-être d’autres forces que la force d’une épée.
– Eh bien, dit-il brusquement, j’attendrai.
– Où pourrai-je vous faire chercher ?
– Chez maître Thibaud Le Poingre, à l’auberge de la Truie Pendue. Vous ne connaissez pas ? Non, les gens comme vous ne doivent boire que de l’eau.
– Je connais, dit froidement Saïtano. Et je connais aussi votre logis de la rue Saint-Antoine, sire du Chatel, votre logis désert depuis que vous redoutez le coup de dague de Bourgogne. C’est là, voyez-vous, que vous devez m’attendre : l’auberge de Thibaud Le Poingre est trop loin de l’Hôtel Saint-Pol !
– Par Notre-Dame, vous avez raison ! s’écria le capitaine émerveillé. Mais dites donc, mon digne suppôt de Satan, je crois que vous avez dit que je redoutais le coup de dague…
– Des gens de Bourgogne, oui… Mais je n’ai pas dit que vous aviez peur.
Tanneguy regarda Saïtano dans les yeux, mais sans doute il vit bien que le sorcier ne songeait guère à se moquer de lui.
– C’est étrange, murmura-t-il, vous savez mieux que moi, et m’expliquez clairement ce que j’ai pensé de toute cette affaire ; c’est vrai, j’ai redouté, je redoute encore d’être rencontré par les damnés Bourguignons, et pourtant nul ne peut dire que j’ai peur. Au surplus, ajouta le capitaine en secouant la tête, tout cela tient à la sorcellerie.
– Allez, dit doucement Saïtano. Retirez-vous en votre castel de la rue Saint-Antoine, et attendez-moi là. Celui que je vous enverrai vous dira aussi ce que vous aurez à faire.
Et l’homme d’armes, qui ne s’était jamais senti la moindre disposition pour obéir à qui que ce fût, se courba sous cette parole douce, ou plutôt froide et sans accent.
Tanneguy du Chatel se retira donc et, suivant ponctuellement les instructions qu’il avait reçues, alla se poster en son hôtel. Ce n’était pas un mince sacrifice qu’il faisait à l’amitié. En somme, une faction de quelques jours dans l’auberge de la Truie pendue n’eût rien présenté de désagréable à son imagination. En tête à tête avec ces fameux vins blancs de Thibaud, il eût passé des heures sans trop d’ennui. Mais pour bien boire, il faut être au moins deux. Tanneguy n’eût pas manqué de compagnons qui lui eussent tenu tête. Au logis de la rue Saint-Antoine, c’était la solitude. Tanneguy ne savait pas boire seul.
Le premier jour, il essaya donc de lutter contre l’ennui en visitant ses caves qui étaient belles et bien ordonnées.
Mais le deuxième jour, il ne se sentit même plus cette noble soif qui fait les intrépides buveurs. Le jour suivant, l’ennui le dévorait.
Le lendemain matin, Tanneguy en vint à se dire que Saïtano s’était moqué de lui ; puis une idée terrible lui passa par la tête : le sorcier, d’accord avec Jean de Bourgogne, avait voulu l’écarter pour qu’aucun secours ne pût arriver à Passavant.
Du Chatel s’habilla donc de pied en cap, et, tout jurant, tout grondant, se disposa à courir au logis de la Cité dans l’intention de pourfendre le sorcier.
Des rumeurs venues de la rue, à ce moment, interrompirent ses jurons. Presque aussitôt, des cloches se mirent à mugir.
– Le tocsin ! dit le capitaine. Oh ! que se passe-t-il dans ce diable de Paris ?
Tanneguy écouta cette rumeur qui montait de la rue. Et il entendit des voix qui criaient tout ce que pouvait crier le peuple. Une rafale passa en lui apportant ce
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