Jean sans peur
de honte, avec des larmes brûlantes, avec des hésitations, des reculs, des détours dans le taudis, ce fut donc après une résistance acharnée qu’elle se trouva enfin portée devant un coffre qu’elle ouvrit. Une minute, elle demeura les yeux fixes et mornes. Puis elle dit à haute voix : C’est pourtant l’heure de m’attifer et de me faire belle !
Le coffre contenait : le manteau à collet renversé ; le diadème en plumes de geai ; la fourrure de fausse hermine et la ceinture d’argent.
L’attirail des filles de joie !… Le costume dont certaines parties, telles que la ceinture et les plumes étaient obligatoires, afin que celle qui les portait comme une enseigne pût être facilement reconnue comme exerçant cet état et aussi pût être évitée par les honnêtes bourgeoises.
Laurence, devant un petit miroir d’acier poli, commença à arranger sa magnifique chevelure.
Elle était blanche cette chevelure, d’un blanc éclatant, couleur de neige pure, par les matins de soleil. Cela seul avait vieilli en elle. Le visage était adorablement jeune.
Précipitamment, avec une sorte de rage, Laurence acheva de s’habiller, ceignit la ceinture, posa sur sa tête les plumes de geai avec une dextérité qui prouvait sa longue habitude de cette manœuvre ; elle rougit ses lèvres au carmin ; elle peignit ses sourcils ; elle colora ses joues avec des pâtes qu’elle trouva dans le coffre.
Elle sortit enfin du taudis…
Elle descendit le misérable escalier…
Elle se trouva dans la rue…
La rue Trop-va-qui-dure ! Quelques misérables filles de la plus basse catégorie erraient çà et là, guettant le soldat. Quand elles aperçurent Laurence, il y eut une stupeur parmi elles. Des ricanements, d’abord, puis des rumeurs coururent. Elles s’assemblèrent. Elles grognaient entre elles des insultes, des jurons. Elles disaient :
– Qui est celle-là ? On ne la connaît pas.
– D’où sort-elle ? Que vient-elle faire en « notre »rue ?
– Si bien huppée, habillée de neuf, et avec de l’hermine !… et une ceinture de vrai argent !… et des plumes toutes fraîches !… Elle n’a pas honte, non !
– C’en est une du Val d’Amour, sûrement !
– La coquine vient nous enlever le pain de la bouche ! À quoi pense le prévôt ?
– Au Val d’Amour, voleuse, au Val d’Amour !…
La rumeur devenait menace. Farouches, les louves de la rue Trop-va-qui-dure encerclaient la malheureuse, interdite, éperdue, qui balbutiait :
– Mais je suis Jehanne ! Vous ne me reconnaissez donc pas ?
Et, comme dans un éclair de folie, elle se murmurait :
– Comment me reconnaîtraient-elles, puisque je ne me reconnais pas moi-même !
– Hors d’ici ! hurla la bande furieuse. Au Val d’Amour ! Et vite ! Ou gare les griffes :
Les griffes sortirent. Laurence, doucement, s’en allait. Où ? Elle ne savait pas. La bande gesticulante et hurlante, les griffes tendues, se tenait pourtant à distance respectueuse. Elles n’étaient pas méchantes, ces malheureuses, et il leur suffisait que l’intrigante s’en allât de leur rue. Or, elle s’en allait !
Bientôt, Laurence n’entendit plus les vociférations.
Elle se trouvait hors de la rue Trop-va-qui-dure. Quant à savoir ce qu’elle devait faire, pourquoi elle se trouvait là, et où elle devait aller, ceci était hors de sa conviction, Seulement, elle se murmurait avec effarement :
– La rue Trop-va-qui-dure n’est donc plus ma rue ? Je ne dois donc plus rentrer chez moi ? Où dois-je aller ? Elles ont dit : Au Val d’Amour. Pourquoi là et non ailleurs ?
Là encore se produisait un phénomène qui avait échappé à la sagacité de Saïtano : Hors de l’ambiance et des souvenirs imposés par le sorcier, l’esprit de Laurence devenait une épave qui devait obéir à l’impulsion de tous les vents. On lui avait crié : Au Val d’Amour ! C’est vers le Val d’Amour qu’elle se dirigea, et comme elle ignorait le chemin, elle s’adressa au premier passant venu.
Ce passant était un sergent à verges de la prévôté de Paris.
Il considéra, émerveillé, cette belle fille qui ne craignait pas de s’adresser à un agent de l’autorité justement pour enfreindre les ordres de cette autorité. La fille était en état de rébellion puisqu’elle arborait les insignes de son métier, hors des endroits où elle avait le droit de l’exercer.
Il se dit : Mon devoir est d’arrêter
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