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Jean sans peur

Jean sans peur

Titel: Jean sans peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Zévaco
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impatience :
    – À la chapelle ! À la chapelle du roi !…
    Tout de suite, sur l’heure, il leur fallait la prise de possession, le geste, la cérémonie, le n’importe quoi qui certifiait la victoire, assurait la curée, réalisait la mise à sac, le partage des places, des emplois, des honneurs, de l’argent. Celui-ci se voyait connétable, celui-là était grand amiral. Chacun s’indiquait à soi-même sa part, et Jean sans Peur s’avançait, prisonnier de cette formidable armée d’appétits. La troupe entière mettait pied à terre, et, gesticulante, hurlante parmi les cris, les éclats de rire, les menaces, les jurons, avec des figures convulsées, marchait sur la grande chapelle du roi où Jean sans Peur, en présence des hommes et de Dieu, allait être hissé sur le pavois…
    Tout ce monde, pêle-mêle, pénétra dans l’immense galerie des fêtes du roi, se dirigeant, disons-nous, sur la grande chapelle.
    Or, si les Bourguignons se fussent comptés à ce moment, ils eussent constaté qu’ils n’étaient guère que deux cents autour de Jean sans Peur. Ils étaient partis deux mille de la Porte Saint-Antoine. Qu’étaient devenus les autres ? Avaient-ils été entraînés sur quelque point de Paris par les remous de la bataille ?…
    Loin du palais du roi, vers la grand’porte de l’Hôtel Saint-Pol, on eût pu entendre une rumeur de combat, mais cette rumeur se perdait dans l’immense tumulte qui montait de Paris, et brusquement elle s’éteignit.
    Jean sans Peur, donc, à cet instant où cessait ce bruit de lutte autour de la grande porte de la forteresse, entrait dans la galerie des fêtes, solennel et magnifique vaisseau long de cent cinquante pas, au fond duquel, sur une estrade, sous un dais de velours fleurdelysé d’or, se trouvait le trône du roi, siège d’apparat où Charles VI ne prenait place qu’en de rares cérémonies.
    Parmi tant de choses terribles et étranges qui se déroulèrent en cette journée, cette entrée en cette galerie fut la plus étrange ; elle fut inexprimablement étrange.
    Voici ce qu’il y avait dans cette foule qui avait été jetée jusque là :
    Jean sans Peur et ses principaux vassaux ou partisans, tels que Robert de Mailly, Antoine de Brabant (son frère), le sire de Jacqueville, le seigneur de Châtillon, Villiers de l’Isle-Adam, Saveuse, et tant d’autres, en tout, avons-nous dit, environ deux cents Bourguignons, bardés d’acier, éclaboussés de sang, les cuirasses bosselées, les visages étincelants.
    À trois pas de Jean sans Peur, entraîné par le même violent reflux, sachant qu’il allait mourir là, et cherchant encore Roselys, marchait Passavant.
    Plus loin, c’était Tanneguy du Chatel. Ailleurs, c’était Polifer.
    Environ cinquante Écorcheurs étaient là.
    Enfin, près de mille bourgeois et hommes du peuple, des enfants, des femmes, déchirés, sanglants, éperdus de se trouver dans l’Hôtel Saint-Pol, marchaient sans savoir, ayant vaguement conscience qu’ils bouleversaient un monde, et « faisaient de l’Histoire ».
    Et tous ces gens, chevaliers, artisans, grands seigneurs, bourgeois, hommes, femmes, s’avançaient pêle-mêle confondus hurlant, vivant chacun une de ces inoubliables minutes qui pèsent sur toute la vie. Les Bourguignons vociféraient :
    – À la chapelle ! Vive le roi !…
    – Vive le roi ! répétaient artisans et bourgeois sans trop savoir de quel roi il s’agissait.
    Cette foule aux éléments si divers dont le contact, à chaque instant, pouvait faire explosion, cette foule composée d’ennemis qui voulaient se tuer, et de grands féodaux, et de manants, cette foule s’avançait en bloc serré dans la grande galerie des fêtes du roi.
    Ce fut en bloc qu’elle parvint jusqu’au milieu de cette galerie.
    En sorte que la moitié de l’immense salle fut, à un moment précis, emplie de gestes furieux, d’attitudes convulsives, de visages flamboyants, tandis que l’autre moitié, vers le trône, demeura encore déserte.
    Ce fut à ce moment précis que Jean sans Peur s’arrêta livide d’épouvante. Sans qu’il en eût donné l’ordre, ses seigneurs s’arrêtèrent d’un même arrêt brusque, et, pétrifiés d’étonnement, ils écoutèrent.
    Et ce fut cet arrêt immédiat, sans cause apparente, cette soudaine immobilité de toute une foule, pareille alors à un énorme et fantastique jouet mécanique dont le ressort vient de se briser net, ce fut une chose

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