Jean sans peur
Brancaillon. Puis un autre, puis il y eut foule. Les uns donnaient de l’argent, d’autres des bijoux. Des dames arrachèrent leurs colliers. Brancaillon ébloui retroussa son froc, le tendit en forme de panier, et les présents se mirent à pleuvoir. L’ermite, effaré d’abord, se mit à rire, puis à pleurer. Jamais il n’eût supposé qu’une telle fortune existât au monde.
– Est-ce que ce serait vraiment un guérisseur ? songeait le roi ébranlé dans le scepticisme que les allures de Brancaillon assez étrange pour un ermite lui avaient inspiré.
Bref, le sacripant fit son entrée dans le palais, portant dans son froc retroussé une véritable fortune qu’il laissa tomber aux pieds de Bruscaille et de Bragaille. Les deux compères poussèrent une sourde exclamation, puis, sans perdre de temps, Bragaille courut fermer les portes, tandis que Bruscaille faisait le partage du butin ; ils avaient des figures de loups, avec des yeux luisants et mauvais.
Cependant, le sire de Bois-Redon était resté solitaire, là-bas, dans l’ombre de la Huidelonne. L’aigre bise de l’hiver le balançait doucement. Quelquefois, il tournait, d’un lent mouvement de giration qui se déroulait ensuite. Il était là, à quelques pieds au-dessus du sol, bien tranquille au bout de sa corde, et, somme toute, il ne faisait pas trop mauvaise figure, si ce n’est que sa face était violette et qu’il tirait la langue.
En haut, tout en haut de la Huidelonne, impassibles, une douzaine de corbeaux, sur la crête de la tour, regardaient, immobiles, la tête de travers pour mieux voir. Ils s’intéressaient fort à la situation du capitaine.
Un des corbeaux tendit le cou et croassa en battant des ailes. D’autres se mirent à croasser. Que pouvaient-ils bien se raconter ? De loin, des clochers voisins, d’autres corbeaux arrivaient, lourds et joyeux, et se posaient sur le sommet de la Huidelonne, minuscules taches noires sur la bordure d’hermine de la neige. L’un d’eux, un vieux vénérable, se mis soudain à piétiner, puis, ouvrant ses larges ailes, se laissa tomber dans le vide, et son vol noir traça dans les brumes un vaste cercle ; au même instant, avec des cris de victoire, toute l’armée se jeta dans le vide, les cercles noirs se multiplièrent et formèrent une spirale descendante… Cela descendait vers la chose que l’aigre bise d’hiver, au bout d’une corde, balançait doucement, et Bois-Redon ne s’en apercevait pas, il ne s’apercevait plus de rien au monde…
Soudain, les cris de victoire devinrent des cris de colère. La spirale descendante se fit spirale remontante, et bientôt, toute la bande, posée à nouveau sur les crêtes de la Huidelonne, se mit à jacasser et à invectiver le malencontreux personnage qui l’avait dérangée.
Ce personnage, c’était le geôlier de la Huidelonne.
À ce moment, il y avait un peu plus d’une demi-heure que Bois-Redon avait été guindé, la hart au col. Le geôlier, ayant menacé les corbeaux de son bâton et les ayant mis en déroute, inspecta longuement les environs d’un œil méfiant. Il redoutait d’autres corbeaux à deux pieds et sans plumes.
Voyant que tout était paisible, c’est-à-dire désert, il fit un signe, et l’homme au manteau rouge sortit de la Huidelonne, s’approcha, examina Bois-Redon d’un regard d’une intense luminosité, puis, lestement, il se mit à grimper aux montants de bois du gibet, sans dire un mot.
Le geôlier se plaça au-dessous du cadavre…
Saïtano se plaça à cheval sur la poutre de traverse où était vissée la poulie de la corde, tira sa dague et trancha la corde.
Bois-Redon tomba dans les bras du geôlier qui l’emporta, et ce groupe s’engloutit dans la Huidelonne bientôt suivi par le sorcier. Le cadavre fut déposé sur le lit de sangle du geôlier. Saïtano se pencha. Il frémissait. Rapidement il dénoua le nœud coulant et jeta le tronçon de corde.
Puis, dans la bouche, jusqu’à la dernière goutte, il versa le contenu d’un flacon plus grand que celui qu’il avait présenté à Bois-Redon au pied de la potence.
Alors il se recula, contempla une minute le cadavre, sortit de la salle avec le geôlier, ferma la porte à clef et mit cette clef dans son escarcelle d’où, en même temps, il tira douze pièces d’or. Le geôlier les prit d’un geste indifférent.
– Si tu es chassé, dit Saïtano, tu viendras chez moi. Tu y seras tout au moins aussi heureux
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